Une île à la dérive. Entre mer calme et tempêtes, elle semble privée d’une boussole. Et soumise aux changements de caps qu’imposent au gré des alternances l’Élysée et les ministères. Au fil du temps, les visions étatiques différentes s’entrechoquent. Suscitant ici depuis longtemps l’incompréhension en toile de fond. Et ouvrant parfois la porte à la violence radicale.
Par Jean Poletti
Cette fois l’embrasement, initié par les étudiants et lycéens, se propagea sur le terreau de la sauvage agression à l’ombre d’une prison. Il focalisa l’opinion publique sur l’intransigeance d’airain d’un pouvoir. Au mépris des élémentaires préceptes qui allient l’esprit et la lettre de la loi. Ce drame humain interpella et interrogea en conscience le citoyen. Mystérieux dans son déroulement et renvoyant à une silencieuse vengeance d’État, il allie responsabilités flagrantes et culpabilités diffuses.
Au-delà du factuel est incidemment posée la stratégie étatique. Mise à part la période socialiste, elle alterne soubresauts et orientations d’extrêmes amplitudes. Dans une trilogie alternant la compréhension, l’ignorance et le dédain, la Corse semble sacrifiée sur l’autel des alternances politiques. Ce qui devint dans l’inconscient collectif l’affaire d’Aleria constitua à l’évidence la pierre angulaire d’une revendication qui transcenda les lisières viticoles pour devenir éminemment politique. Le regard insulaire envers Paris évolua singulièrement, transformant le scandale de la vinasse en interrogations sociétales sur la réalité et les perspectives d’une région.
La réponse, cinglante et réductrice de Giscard, tomba tel un couperet. « Il n’y a pas de problème corse, il y a des problèmes en Corse. » Et Poniatowski fit donner la garde contre ces mutins issus, selon lui, d’une population qui possédait un chromosome supplémentaire : celui du crime ! Le propos de ce ministre de l’Intérieur, teinté de racisme, dénotait en corollaire une certaine perception d’habitants, au mieux qualifiés de bons sauvages.
La contestation eut écho favorable chez les étudiants corses. Ceux de Nice théorisèrent et conceptualisèrent en grande partie les doléances disparates. Certains furent même fondateurs et responsables du FLNC. Les bombes et autres nuits bleues accentuèrent alors une dialectique forgée dans le droit des peuples et la résurgence d’une histoire particulière trop longtemps mise sous le boisseau. Un engagement violent parfois synonyme de comparutions devant la Cour de sûreté, prononçant de lourdes peines d’emprisonnement.
La rose et ses épines
L’avènement de l’ère Mitterrand aurait pu être baptisée « le changement, c’est maintenant. » Amnistie des détenus. Deux statuts particuliers. Et en toile de fond, un authentique espace de dialogue fondé sur la reconnaissance d’un particularisme. Osons rappeler que ces avancées se couvrirent davantage d’épines que de roses. Nombreux furent à droite, dans les rangs communistes et radicaux de gauche, à s’unir dans un front du refus. Certains évoquant un toboggan vers l’indépendance, d’autres une atteinte à l’unité de la République. Defferre qualifié de cheval de Troie des séparatistes. Pierre Joxe traité de séditieux. Et l’université de Corse, qui reçut ses lettres de noblesse, assimilée à un chapeau noir posé sur le centre de l’île. Tel était le climat, encore alourdi par le positionnement de la mouvance clandestine martelant dans un communiqué qu’il n’y aurait jamais de troisième voie.
D’ailleurs, l’installation de la première assemblée régionale fut précédée la veille par un chapelet d’explosions nocturnes. Ce qui permit au quotidien Libération ce titre passé à la postérité : « Prosper, Yop la boum ! » Cela renvoyait au prénom du président Alfonsi. Anecdote éloquente, cet homme affable et discret mâtiné de radicalisme occupa son fauteuil de président grâce à une scission des libéraux. José Rossi, déjà favorable à la réforme, joua les empêcheurs de tourner en rond. Candidat aux trois tours du scrutin, il fit barrage au succès de Jean-Paul de Rocca Serra. Et ce malgré les appels pressants de Jacques Chirac pour tenter de briser cette dissidence.
Voilà sans doute ce qui constitua le point de départ d’une fracture de la droite insulaire, qui s’amplifia au gré des scrutins, jusqu’à conférer à José Rossi le titre de rapporteur du projet Joxe à l’Assemblée nationale. Il entraîna notamment dans son sillage le député de Balagne Paul Patriarche ou de Marc Marcangeli, qui fut maire d’Ajaccio, au grand dam de son oncle Charles Ornano et des bonapartistes.
De Tralonca à Bonnet
Nouvel épisode de cette saga fertile en rebondissements avec Jean-Louis Debré, ministre de l’Intérieur, lors de la surréaliste conférence de presse clandestine de Tralonca. Il jura sur ses grands dieux n’avoir pas été au courant de ce qui se tramait. Ce qui fit rire sous cape. Il se murmura même que le texte de la déclaration fut adressé par avance à ses services. Dans une étrange coïncidence, le partisan du slogan « dialogue et fermeté », répondit dès le lendemain, point par point, lors d’un déplacement dans l’île aux requêtes formulées dans le maquis. « Il est fort. Il a même le don d’ubiquité et de prescience. » Tel fut le commentaire malicieux et un brin sarcastique du renard argenté, cette fois encore à la hauteur de son surnom.
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