Libre propos
Par Jean-André Miniconi, président de la CPME-Corsica
Si mon propos n’est pas ici de contester la décision du classement de l’île en zone rouge, je me demande si ceux qui prirent une telle décision eurent pleinement conscience des conséquences économiques que cela allait engendrer. Il ne fallait pas être grand clerc pour comprendre qu’un classement en « zone pestiférée » n’était pas bon pour le commerce et pour l’image de la Corse. Le résultat ne s’est pas fait attendre.
À l’annonce de la zone rouge, l’Allemagne, la Suisse et la Belgique, les trois pays qui font l’arrière-saison en Corse, ont recommandé à leurs ressortissants de ne pas venir chez nous. Et pour ceux qui y étaient déjà, de rentrer immédiatement sous peine de s’exposer à une quarantaine à leur retour. Les entreprises touristiques, en particulier les hôteliers et les loueurs de véhicules, ont vu leurs réservations s’annuler par milliers à tel point que des structures ont décidé de fermer fin septembre. Des avions sont venus à vide pour organiser le rapatriement des touristes. Du jamais vu !
Lorsqu’on sait que septembre et octobre, qui s’annonçaient plutôt bien, étaient les mois clés qui allaient permettre aux entreprises de passer l’année et de garder espoir, on ne peut que s’inquiéter de ce qui va arriver. En termes de perte de PIB, l’évaluation à minima s’élève à un point pour septembre. Cela veut tout simplement dire que les entreprises vont perdre 100 millions d’euros de richesse supplémentaire ! Un manque à gagner crucial à tous égards.
Les entreprises ont survécu en obtenant des reports d’échéances fiscales et sociales et les fameux prêts garantis par l’État (PGE). Seulement voilà, l’heure du remboursement va bientôt arriver et les entreprises vont se retrouver devant un mur de dettes quasi infranchissable. Comment imaginer un instant qu’elles vont pouvoir faire face à leurs échéances alors que l’activité n’a toujours pas repris normalement ?
L’État a annoncé un plan de 100 milliards d’euros, mais quid de la part consacrée à la Corse ? La CTC doit présenter son plan de relance à la session d’octobre. Quelles sont les pistes ?
Au nom de l’équité et du réalisme
Tout d’abord, une petite règle de trois pour fixer les enjeux. Si l’on rapporte la part du plan de relance consacrée à la Corse, à la part du PIB de la Corse dans celui de la France, on obtiendrait approximativement 0,4% du montant du plan, soit 400 millions d’euros. Nettement insuffisant si l’on se base sur les pertes estimées en 2020. La baisse du PIB national devrait avoisiner les 10% alors que celui de la Corse devrait s’élever à au moins 17%, soit une perte en valeur de 1,5 milliard d’euros.
Dans le premier cas, vous êtes aux urgences et dans le deuxième en soins intensifs sous respirateur artificiel. Par mesure d’équité et surtout de réalisme économique, la part de la Corse dans le plan de relance devra être beaucoup plus importante, au moins de 700 millions d’euros pour espérer survivre.
Quelles en sont les grandes lignes ? Il faut distinguer les mesures urgentes des mesures systémiques. Les mesures urgentes doivent répondre à deux objectifs complémentaires. D’abord permettre aux entreprises de continuer à fonctionner dans un univers dégradé sans être obligées de recourir massivement aux licenciements. Ensuite, aider les personnes qui se retrouvent en situation de fragilité financière due à la crise engendrée par la Covid19 (perte de revenu due au chômage partiel, saisonnier n’ayant pu recharger ses droits, personnes licenciées, etc.).
Pour ce faire, six grandes mesures sont à mettre rapidement en œuvre :
– Prolonger les PGE avec un différé de remboursement de 2 ans et un étalement sur 10 ans, quel que soit le secteur d’activités.
– Prolonger le chômage partiel dans les conditions initiales au moins jusqu’au mois de mars 2021.
– Étaler les charges sociales et fiscales dues sur une période d’au moins 3 ans
– Recapitaliser les entreprises qui auront fait des pertes par l’émission d’obligations convertibles par exemple.
– Soutenir la consommation des ménages en émettant des chèques consommation valables uniquement en Corse. Le plan de relance ne prévoit pas de stimuler la demande, mais la particularité de la Corse est telle que l’on ne peut pas faire autrement.
– Mettre en place un système d’accompagnement pérenne pour le public fragile (prise en charge d’une partie des loyers, des factures d’électricité, des frais de transport, rééchelonnement des emprunts… formation adaptée pour trouver un emploi).
Précarité et choc social
S’agissant des mesures systémiques je persiste et je signe. Oui, il faudra aller vers une économie respectueuse de son environnement avec une meilleure répartition des richesses.
En corollaire, je ne peux m’empêcher de penser aux saisonniers qui n’ont pas été embauchés cet été, aux salariés qui sont en passe d’être licenciés, à tous ceux qui connaissent ou qui vont connaître la précarité. Il est grand temps de les aider. On a beaucoup parlé de crise sanitaire depuis le mois de mars. Et si on commençait à s’occuper sérieusement de la crise sociale qui arrive ?
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