La fin des cigarettes corses 

Le mois prochain, la manufacture des tabacs située à Furiani fermera ses portes. Elle était depuis cinq ans la dernière fabrique de cigarettes de France. Et fut dans le passé la principale entreprise insulaire fournissant une partie du marché hexagonal et étranger. Une saga industrielle qui s’éteint soixante ans après sa création. 

Par Jean Poletti 

Située à proximité de Bastia l’entreprise était connue dans toute l’île. À son appellation officielle Macotab, tous lui préféraient le qualificatif originel Job-Bastos. Un terme gravé dans l’inconscient collectif qui transcendait les générations tant il reflétait une présence que certains pensaient immuable. Et nombre de fumeurs se rendaient au tabac du coin acheter un paquet de cigarettes Fattu in Corsica. 

Il est vrai qu’à son apogée, l’usine diffusait sa propre marque, ici et ailleurs, tout en fabriquant des produits pour d’autres firmes dont Rothmans International. Elle s’était ainsi taillé une place importante dans l’Hexagone et à l’étranger. À telle enseigne que les deux cents employés n’hésitaient pas à dire non sans quelque orgueil qu’ils travaillaient dans « la Régie Renault de la Corse. » Le propos n’était pas usurpé dans une région orpheline d’industries où cette implantation faisait figure d’exception en étant la seule et unique exportatrice de produits finis. 

Pourtant de sombres volutes se profilaient à l’horizon. Malgré plus d’un milliard de cigarettes façonnées annuellement et quelque trente-sept millions de chiffre d’affaires la compétitivité s’étiolait. La puissance publique se porta à son secours en imposant son renflouement par la Seita alors sous contrôle de l’État. Dès lors, du côté de Furiani l’espoir renaissait. Elle se voyait en effet confier le façonnage et le conditionnement des marques Gauloise et Gitane, synonyme de redémarrage. La quiétude fut malheureusement de courte durée. Les commandes supplémentaires ne suffirent pas à juguler les pertes d’exploitation, en regard notamment de la hausse des charges et le différentiel négatif entre production et plus-value. De manière lapidaire disons que l’entreprise insulaire travaillait à perte. 

Le temps des mutations 

Le gouvernement de l’époque intervint une seconde fois, toujours par le truchement de la Seita, contrainte de prendre le contrôle à hauteur de cinquante et un pour cent. Elle devenait de fait propriétaire majoritaire d’une nouvelle opération sauvetage. Un directeur général fut nommé avec la lourde charge de renouer avec l’équilibre financier afin qu’à terme l’État cesse d’être le bailleur et ne soit plus contraint d’éponger les déficits. Une mission jugée impossible par le repreneur qui mit en exergue d’insurmontables obstacles liés notamment à la modeste taille de la structure, et la trop grande diversité des produits élaborés. Bref, il traîna quelque peu les pieds et fut rapidement remplacé. Son successeur plus volontariste initia une stratégie de redressement alliant le changement de la convention salariale et un plan d’investissement. Ces profondes mutations furent loin d’être applaudies par les salariés. Des grèves perlées s’échelonnèrent pendant plus d’un mois, sans parvenir à mettre sous l’éteignoir le projet patronal. Pis, il provoqua l’affrontement entre la CGT majoritaire et FO. Ce dernier accusant son ennemi intime d’instrumentaliser la défense des personnels à des fins purement politiques. En clair, d’utiliser un conflit au profit du Parti communiste.

 

Éclaircie fugace 

Cette fissure affaiblit d’autant plus les ouvriers qu’ils n’avaient pas, contrairement à une formule syndicale consacrée, par beaucoup de grain à moudre. En effet, les dirigeants eurent beau jeu de souligner que les salaires étaient largement supérieurs à ceux qui étaient la norme dans les manufactures de la Seita. Et en corollaire qu’ici les emplois industriels étaient réduits comme peau de chagrin et faiblement rémunérés. Aussi dans un non-dit assourdissant, infusait l’idée que les personnels seraient bien inspirés d’acquiescer aux nouvelles normes édictées, plutôt que de courir le risque de lâcher la proie pour l’ombre. 

La suite de cet article est à retrouver dans Paroles de Corse #125 novembre 2023 en vente ici

Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.