À Ota, une petite maison surmontant un atelier devient cas d’école. L’édifice, bâti en zone inconstructible voilà des années et source de pollution, est voué aux pics des démolisseurs. Le couple de propriétaires, à l’hiver de sa vie, allait être expulsé. Opposition compassionnelle des habitants, réactions outrées dans toute l’île. Symbole d’un amalgame entre État de droit et droits de l’État ?
Par Jean Poletti
Appliquer une décision de justice. Rien de plus banal. Dura lex, sed lex, professe l’adage. Mais ce docte précepte se heurte parfois à des considérations humaines, pour ne pas dire morales. Il émeut les consciences et ravale des décisions de justice dans le camp de l’iniquité. Lorsque au nom d’un jugement se délite l’intelligence dans son exécution, un sentiment d’arbitraire s’instaure. Dessinant dans la mémoire collective le visage de l’injuste force de la loi.
Voilà ce qui prévalut dans cette levée de boucliers à Ota. Nul ne contestera la validité des procédures administratives qui aboutirent à cet épilogue. Pourtant ce dossier illustre avec acuité qu’entre le strict règlement et la contingence d’une situation peut et doit s’insérer le bon sens. Chose au monde selon Descartes la plus partagée !
À l’avoir oublié la puissance publique s’attira les foudres d’une communauté. Vouloir jeter à la rue deux personnes âgées, pour exécuter une sentence, équivaut à mettre le strict formalisme sur un piédestal, en l’amputant de l’élémentaire mansuétude. Cette règle non écrite, mais qui pourtant ne doit pas être bannie quand les circonstances semblent prégnantes. Utiliser le marteau-pilon pour écraser une mouche n’honore pas leurs auteurs. Erreur psychologique ? Perte de discernement ? Credo du jugulaire- jugulaire ? Déni de réalité ? Toutes les hypothèses affleurent dans cette opération, organisée à l’aube, et repoussée par l’union populaire. Ces citoyens, faut-il le préciser, ne revêtirent pas les habits de révolutionnaires. Ou de séditieux. Pas Ravachol ou Bakounine ! Ils n’étaient nullement mus pas une doctrine rejetant, sans autre forme de procès, les institutions qui fondent la société. Non, mille fois non. Simplement animés par un élan spontané, alliant le cœur et la raison.
Rupture préfectorale
Ici, Laurent Marcangeli évoquant un acte « inadmissible et inhumain car il ne s’agit pas de squatters sans scrupules ». Là, Gilles Simeoni appelant l’actuel préfet à respecter les promesses et assurances de ses prédécesseurs. Deux positions parmi d’autres, également médiatisées par La ligue des droits de l’Homme. Car c’est là, si l’on ose dire, que l’affaire se corse un peu plus. Patrick Strzoda, puis Josiane Chevalier et Franck Robine avaient en effet eu à connaître ce différent au long cours. À l’époque, les représentants de l’État avaient successivement soutenu les démarches propices à régulariser la situation. En filigrane, garantie tacite fut donnée, les époux ne seraient pas expulsés de leur vivant. Voilà engagement nourri de bonnes intentions. Mais il portait en lui ses propres limites. Oral, et en toute hypothèse n’étant pas inscrit dans le marbre, il n’engageait pas l’actuel hôte du Palais Lantivy. D’ailleurs, ce dernier ne se priva pas de le rappeler. Et si l’on veut éviter toute partialité, force est d’admettre qu’il n’est pas comptable des promesses faites par ceux qui naguère occupèrent son poste.
Résoudre cette situation, qui n’aurait vraisemblablement pas pu prendre un tel relief, ne semble pourtant pas relever de l’impossible gageure. Tant s’en faut. La solution est inscrite dans le problème. Le coordonnateur pour la sécurité prit rapidement contact avec Pierre-Paul Pianelli, le maire de la commune. En terme diplomatique, il fut affirmé qu’une possibilité de relogement existait. Sans être rompu à la dialectique préfectorale tout indiquait déjà que les octogénaires ne rejoindraient pas la cohorte des sans domicile fixe. L’enjeu ? Sortir par le haut.
Le clair-obscur
L’interrogation affleure cependant et sollicite l’entendement. Que serait-il advenu du vieux René et sa compagne sans la mobilisation citoyenne ? Le courant coupé par des personnels requis, les bulldozers auraient fait place nette. Au mépris de la prolongation de l’interdiction d’expulsion liée au Covid !
Voilà qui vaut leçon débordant le simple horizon d’Ota. Elle s’insère dans ces malencontreux arbitrages qui s’isolent de la réalité du terrain. Ignorent l’adéquation parfois souhaitable entre sanction, fruit de la législation impersonnelle et globale, et les individus ciblés.
En l’occurrence, s’il s’agissait de marquer d’une pierre blanche l’adage « Force doit rester à la loi », la tentative pécha par manque d’élémentaire logique. Un grief reprit et amplifié par les déclarations officielles et les discussions informelles de part et d’autre de Vizzavona. Des propos qui mettaient en exergue le fameux deux poids, deux mesures. En référence à certaines villas luxueuses illégalement édifiées, mais qui bénéficièrent cependant de la mansuétude juridictionnelle. Inutile d’aller plus avant, chacun sait.
Aux sources de La Fontaine
Sans enfourcher l’antienne de La Fontaine et son célèbre « Selon que vous serez puissant ou misérable/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir », le béotien persiste et signe. Au-delà du dénouement, il sait que recoller les morceaux n’effacera pas ce scénario choquant. Alors que tout eut pu d’emblée être résolu si une vision humaniste avait prévalu… Les pyromanes contraints de jouer les pompiers ?
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