La multiplication des incendies criminels transcendent désormais la rubrique des faits divers pour s’insérer dans un alarmant fait de société. Craquer l’allumette pour détruire des biens relève à maints égards de pratiques prisées près de chez nous par Cosa Nostra. Une pratique qui indique mieux que longues explications la gangrène de cette forme supplémentaire de violence, d’intimidation, de vengeance.
Par Jean Poletti
Le rouge est mis. Rien ne va plus. Il était de bon ton de croire que ces pratiques délictueuses ne seraient qu’un feu de paille. Qu’elles seraient circonscrites dans l’espace et le temps. Il convient de déchanter. Elles s’inscrivent désormais dans une méthode de coercition, de menaces ou de vengeance. Qu’importent les motivations. Toutes se rejoignent dans ce qu’il convient d’appeler une violence sociétale. Et sans ouvrir ici le chapitre des procès d’intention, tout indique que l’ampleur des exactions, et surtout leur terreau, n’est pas analysée avec l’acuité qui s’impose par ceux dont la mission régalienne consiste à protéger la personne et les biens.
Nul ne disconvient que les investigations s’avèrent complexes. Personne n’infirme que fréquemment peu d’indices sont exploitables. Mais rien n’interdit au regard de l’ampleur du problème que soit imaginée une cellule dédiée, regroupant tous ces méfaits, afin de coordonner avec efficience les enquêtes. Actuellement, chacun s’affaire dans son coin aux constatations d’usage. Un dossier est ouvert pour chaque cas et s’enlise dans le temps. Pris séparément ces spectacles de débris fumants peuvent s’apparenter à un fait divers. Mais réunis dans une unique section et sous l’autorité d’un seul magistrat les recoupements, analogies, et autres éléments pourraient être bénéfiques pour la résolution des ces forfaits récurrents.
Par ailleurs, cette unicité mettrait en exergue d’éclatante manière qu’il s’agit d’un authentique fait de société. Elle permettrait dès lors en saine logique non seulement une prise de conscience populaire, mais aussi et peut-être surtout une implication plus volontariste de la justice.
Brûlantes surenchères
Plus aisé à énoncer qu’à mettre en pratique ? Vraisemblablement. Mais l’adage stipule que les faits précèdent toujours le droit. Et en incidence que ce dernier se doit d’y répondre.
Pendant ce temps, les flammes ravageuses ont droit de cité. Elles progressent, ici et là, attisées par un sentiment d’impunité et le vent mauvais de mobiles qui mettent sous l’éteignoir ces valeurs qui dit-on prévalent en Corse.
Nul besoin d’égrener le long chapelet des volutes de fumée qui embuent toute vision sereine. Depuis deux ans le cycle des sinistres est devenu un rituel. Voitures, exploitations agricoles, commerces, entreprises, bars sont réduits en cendres. Àl’image du « Son des guitares » de Bastia.
Une folle surenchère qui atteignit un paroxysme avec la récente destruction de trois camions des forestiers sapeurs à Serra-di-Fiumorbu. L’entendement chancelle. Ces engins qui sont des aides précieuses pour la population rurale, dont certains devaient être aménagés en chasse-neige réduits en tôles calcinées. Les réactions courroucées furent unanimes. Et le maire, Jean-Noël Profizi, relayé par ses amis de Core in Fronte, de Gilles Simeoni et nombre d’édiles condamnèrent sans atermoiements. Dans ce droit fil, un rassemblement populaire signifia son écœurement.
Symbole brisé
Et que dire, en corollaire, de la triste et injuste fin de l’Attellu Mubilità. Pourquoi avoir transformer en bûcher ce garage solidaire qui avait ouvert ses portes à Calvi ? Il s’agissait d’une structure d’insertion œuvrant sans relâche en faveur des personnes broyées par la précarité. C’était un symbole de la fameuse économie circulaire, et en filigrane l’exemple éloquent depuis sept ans que l’entraide pouvait trouver une application pratique. Tout en apportant sa pierre à l’édifice de ceux qui luttent avec ténacité contre l’exclusion. Lui déniant le qualificatif de fatalité.
Philippe Andréani et toute l’équipe qui initièrent et concrétisèrent cette initiative trouvèrent un salutaire réconfort dans les nombreux témoignages reçus. Sans doute y puiseront-ils la volonté de rebâtir ce qui fut décimé. Et ainsi démontrer que l’adversité anonyme et ignoble ne suffira pas à renoncer aux implications pétries de noblesse de cœur.
Ces quelques digressions puisées dans l’actualité témoignent de la pression insidieuse, qui s’amplifie, de ceux qui dans l’ombre complice ont déclenché et alimentent la guerre du feu.
Détourner le regard ou banaliser cet inhabituel mode opératoire équivaudrait, une nouvelle fois, à occulter la cruelle réalité. Celle d’une île qui déjà en proie a bien des démons en découvre un autre. Celui-là signifie que les dérives ne connaissent nulle frontière morale. Elles sont l’apanage inépuisable de ceux qui portent en bandoulière l’imagination malfaisante. Avec en toile de fond les flammes du malheur, que subit une communauté taraudée par la crainte fréquemment diffuse, quelquefois affichée.
Spécificité en deuil
Sans verser dans le fatalisme ou emprunter le rôle du chevalier blanc, chacun doit s’interroger sur cette maléfique spirale qui avec d’autres ne conduisent pas vers des lendemains qui chantent.
Contrairement aux propos incantatoires de ceux qui persistent à dire, en foulant aux pieds l’évidence, qu’ici c’est mieux qu’ailleurs. Vous avez dit spécificité ?
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