Les récentes polémiques et le débat sur le port du voile ont réactivé l’inquiétude des Français sur le respect de la laïcité. Un sondage de l’Ifop réalisé en octobre dernier montre une inquiétude partagée quelle que soit l’appartenance politique des enquêtés.
Par Vincent de Bernardi
Ils sont 8 sur 10 à juger que la laïcité est menacée, une proportion semblable à celle enregistrée en novembre 2015 en pleine vague d’attentats, mais 20 points de plus qu’en 2005.
La « défense de la laïcité » est jugée « tout à fait prioritaire » par 39% des sondés, loin derrière la santé (premier domaine cité, avec 82%), mais aussi la lutte contre le chômage, le pouvoir d’achat, la lutte contre la délinquance, la protection de l’environnement et la lutte contre l’islamisme. Dans le détail, les sondés les plus préoccupés par la laïcité sont ceux qui sont proches du PS (50%), catégorie traditionnellement sensible au respect et à la défense de cette valeur et ceux qui sont proches du RN (48%). Il est intéressant de constater que la laïcité devient pour les sympathisants de l’extrême droite, une question majeure. « On a longtemps connu cette mouvance soit païenne soit intégriste, très marginalement laïque. Elle en fait désormais un combat contre l’islam », note Jean-François Colosimo, le directeur de la rédaction de l’hebdomadaire catholique La Vie. À l’extrême gauche, on la détourne volontiers et chez les modérés d’En Marche, on promet un discours refondateur toujours remis à plus tard.
Amnésie de l’histoire
Jean-François Colosimo note qu’il y a là une faiblesse de l’État sur cette question parce que l’expérience française de la séparation de l’Église et de l’État reste fondée sur la nécessité d’une « police des religions », non seulement de surveiller les cultes mais aussi de les amener à être civils et civiques. « Par amnésie de l’histoire et par faiblesse politique, nous sommes en train de changer le logiciel républicain de la France et de lui subsister un logiciel communautariste. » Dans un entretien avec Jean-Pierre Denis dans les colonnes du Figaro Magazine, le théologien rappelle qu’on demande à l’islam de se montrer neutre et se réformer, mais en réalité aucune religion ne l’a jamais fait d’elle-même au cours de notre histoire. « Elles ont toutes été neutralisées au préalable dans leurs capacités d’absolutisme, d’hostilité et de domination. On demande aux musulmans de répondre à une question mais sans leur donner les moyens d’y répondre. » Et d’ajouter que l’État « signe sa résignation à une faillite plus générale ».
Catalogué dans le camp des conservateurs, éditeurs d’une jeune garde naviguant à la droite de la droite, Jean-François Colosimo est un catholique convertit à l’orthodoxie. Plus réactionnaire qu’idéologue, il fustige le progressisme macronien, le rendant responsable de cette faiblesse d’État.
Ponce Pilate
Lorsqu’en voyage dans l’île de La Réunion, le président de la République déclarait « le port du voile dans l’espace public n’est pas mon affaire », il s’inscrit dans cette tradition d’une laïcité « religion d’État » et fait réagir l’ensemble des responsables politiques de droite et d’extrême droite. Marine Le Pen qui veut interdire le port du voile dans l’espace public, le compare à Ponce Pilate, « il s’en lave les mains (…) Le voile est une arme utilisée par l’islam politique pour aller à l’encontre de tout ce à quoi nous croyons : la laïcité, la liberté, l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est une gigantesque régression à laquelle le président Macron oblige les Français à se soumettre » déclare-t-elle.
Bruno Retailleau, pour Les Républicains, dénonce pour sa part « le renoncement » du Président soulignant qu’il ne sert à rien de déplorer une dérive communautariste si c’est aussitôt pour renoncer à lutter contre l’islam politique et se borner à rappeler des généralités. La nuance entre les deux est plus que ténue. De l’autre côté, la majorité n’en finit pas de tergiverser sur cette question sensible de la laïcité. S’il n’est nul besoin de la réinventer, l’appliquer réellement suppose une bonne dose de courage politique. Tous les gouvernements successifs ont été confrontés à cette difficulté.
Urgente clarification
Même Manuel Valls, le plus « laïcard » des Premiers ministres, n’a guère agi pour la faire respecter. Et ce n’est pas en appelant à une démarche coordonnée pour clarifier ces notions de laïcité et de communautarisme pour « envisager les bonnes réponses » que la majorité présidentielle va rassurer les Français. Objet de débats sans fin, la laïcité s’invite régulièrement dans le jeu politique. Sans une réelle action de la part de l’État, il y a fort à parier que l’extrême droite en fera une question importante de la prochaine élection présidentielle, surfant sur l’inquiétude de l’opinion et instrumentalisant à l’excès cette « religion si française ».
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