Le leader de la France insoumise aurait-il jeté aux oubliettes la doctrine de Robespierre au profit de celle de Pasquale Paoli ? Le talentueux jacobin qu’il fut devient militant girondin. Il épouse même la thèse de la fin de l’État unitaire et offre des roses au nationalisme insulaire.
Par Jean Poletti
« Les députés nationalistes corses m’ont fait comprendre que la France n’est plus un État unitaire. » Déclaration puisée dans la dialectique de Michel Rocard ? Nullement. Elle émane de Jean-Luc Mélenchon lors d’un déplacement en Guyane. Elle peut surprendre tant l’actuel candidat à la présidentielle semblait, voilà peu encore, nimbé dans une doctrine unioniste. Celle d’un Saint-Just mâtiné de Chevènement. Sans parler de ces thuriféraires de tous horizons qui ici tiraient à boulets rouges sur les statuts décentralisateurs. On se souvient aussi des propos peu amènes du Lider maximo des insoumis à l’égard des socialistes de Haute-Corse, à une période où sous la houlette de Laurent Croce, ils luttaient seuls ou presque pour l’avènement des statuts. Dans une sorte de révisionnisme qu’il dit puisé dans son vécu, « Méluche » délivre un satisfecit à Jean-Félix Acquaviva, Paul-André Colombani et Michel Castellani, qu’il croise au palais Bourbon. Sous le sceau de la fausse confidence, il révèle que le trio autonomiste lui montra et permit de comprendre ce qu’il savait sans vouloir se l’avouer. Sa vérité ? La France n’est plus un pays unitaire. Et d’égrener pour valider sa doctrine les exemples des territoires d’Outre-mer, symboles et réalités que la République est entrée dans une forme nouvelle.
Dans ce droit fil et sans l’ombre d’une hésitation, Jean-Luc Mélenchon dit n’avoir rien contre le fameux article 74 évoqué en leitmotiv par les corsistes. Mais loin de camper sur cette seule revendication, il convoque le pouvoir de l’imagination afin de proposer éventuellement d’autres idées innovantes. Une réflexion, croit-il savoir, qui anime Gilles Simeoni, appelant de ses vœux l’ouverture d’un véritable espace de dialogue avec Paris.
Camarades natios
Au-delà des mots et d’éventuelles postures, tout indique qu’un tel positionnement s’inscrit dans une longue maturation intellectuelle. Voilà quatre ans déjà, Mélenchon créa la surprise en félicitant l’accession au pouvoir des nationalistes. Un point d’orgue à son refus de s’associer aux communistes lors des territoriales, qu’il qualifia de tambouille politicienne et une usurpation du sigle LFI. Un divorce électoral avec les « camarades », prémices sans doute des visions divergentes sur l’avenir de la Corse.
Celui qui dit et répète à l’envi n’avoir que Mitterrand comme exemple et mentor, avait-il dans un coin de sa mémoire la célèbre « Corses, soyez vous-mêmes » ? Ou encore celle de Joxe lors d’un déplacement en terre ajaccienne, en réponse aux détracteurs de son projet lui reprochant la part belle faite aux institutions au détriment de l’économie : « Certes tout est lié, mais l’homme ne vit pas que de pain. Il lui faut aussi la reconnaissance d’une identité pour fédérer les volontés, et ainsi déblayer les obstacles sur le chemin de l’essor partagé. »
Dans ce droit fil, et comme pour entériner ce mariage de raison, les actes et déclarations se succèdent au gré des opportunités. Ainsi, par exemple, à l’Assemblée nationale un amendement au projet de loi de finance conjointement déposé par les parlementaires nationalistes trouva écho favorable dans les rangs de leurs collègues de la France insoumise.
Sa part de vérité
On peut critiquer Mélenchon sur ses positions ambigües qu’il étrenne sur la laïcité. Dire que son parcours politique n’a qu’une lointaine parenté avec la ligne droite. Toutefois, nul ne peut lui dénier d’avoir un sens de la prospection, qu’il alimente avec une dialectique de haute volée. Ainsi, en claquant la porte socialiste voilà bien des années, l’accusant de perdre ses fondamentaux n’avait-il pas raison ? En reniant Blum et Jaurès, ce parti s’étiola inexorablement, pour devenir aujourd’hui l’ombre de lui-même. Dont Hidalgo après Hamon ne sont que les représentants d’un voyage au bout du déclin. Triste spectacle, clame Mélenchon. Et de dire en parodiant le titre d’une tribune récurrente de François Mitterrand dans Le Provençal : « Moi aussi j’ai ma part de vérité ! »
Celui qui a trusté de nombreux mandats électifs locaux, nationaux, européens, et fut ministre, conserve l’esprit militant que n’entache nullement le temps qui s’écoule. Il aime le combat démocratique et n’a nul scrupule à faire preuve d’originalité.
Ainsi, il se dit ouvertement favorable au statut de résident et au rapprochement des prisonniers politiques. Adhère au particularisme. Fait droit à une certaine idée de l’insularité.
Langue de bois s’abstenir
Mais en contrepoint et sans langue de bois d’asséner qu’il acceptera la co-officialité à la condition qu’elle ne soit pas source de discrimination, qui conduirait à réserver des emplois à ceux qui parlent corse.
Et dans une expression lapidaire mais explicite adressée à Macron : « On ne peut pas dire aux élus corses dorénavant c’est comme auparavant. » Sans craindre d’être qualifié d’usurpateur d’un slogan, Mélenchon peut déclamer « le changement, c’est maintenant » !
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