La petite entreprise connaît la crise

Par Jean Poletti

Contrairement à ce que chantait Alain Bashung, ici plus qu’ailleurs, le monde artisanal traverse une période délicate. Aux difficultés structurelles se greffent et se superposent désormais des contraintes factuelles. Les très petites entreprises constituent l’essentiel du tissu économique insulaire. Fréquemment le propriétaire a peu ou pas de salariés. Son affaire est souvent en nom propre, ce qui revient à dire qu’il est responsable sur ses deniers en cas de défaillances. Mais ces commerces, dits de proximité, qui maillaient l’ensemble du territoire se sont quelque peu sclérosés. Battus en brèche par l’avènement des grandes surfaces. Et en toile de fond une demande qui se tarit en regard d’une clientèle ayant évolué dans ses habitudes d’achats. L’épicier du coin ne fait plus recette. L’habillement subit une demande moindre, résultant de la crise ambiante. Par ailleurs, les achats divers et variés par correspondance grèvent également une bonne part des chiffres d’affaires.

Ce tableau peu engageant transcende les froides statistiques pour rejoindre un problème sociétal. Des enseignes familiales, souvent actives depuis plusieurs générations, baissent définitivement leurs rideaux. Il n’est pour s’en rendre compte qu’à parcourir les artères des villes pour en être rapidement convaincus. À cet égard, la rue Napoléon de Bastia se veut symbole éloquent. Naguère bordée d’échoppes de chaussures, d’alimentation, de quincaillerie en passant par l’ameublement ou l’électroménager.

Ultimes chances

Autres temps, autres mœurs ? Sans doute. Mais cela n’est qu’une facette du déclin. En clair et pour schématiser ces très petites entreprises ne s’approvisionnent qu’en quantités réduites et n’ont pas accès aux centrales d’achat. Aussi, elles ne peuvent pas toujours rivaliser en prix de vente avec des entités bien plus importantes, qui par ailleurs peuvent se permettre de lancer des opérations dites à prix coûtant. Certains ne trouvent leur plausible salut que dans diversification. Le boulanger fait de la restauration rapide. L’épicier devient dépositaire de colis. Le cordonnier plastifie les documents officiels, fait des photocopies ou usine des clés. Bref, la polyvalence devient vitale. Mais cela n’est qu’un palliatif qui ne peut être assimilé à une doctrine d’avenir. Nous assistons à une véritable métamorphose aux atours de survie. Ainsi, par exemple, maints commerçants durent créer leurs boutiques en ligne pour tenter de ramener une clientèle d’habitués jouant désormais l’Arlésienne.

Dans le rural, le seuil fatidique paraît atteint. Dans une sorte de cercle vicieux, l’exode met les diverses prestations, dont les commerces, en berne. Et les habitants sont contraints de se rendre en voiture dans les agglomérations ou bourgs-centre, parfois éloignés, pour faire leurs emplettes. De guerre lasse, nombre abandonnent leurs villages pour se rapprocher de leurs enfants devenus citadins.

Mutation sociétale

À la lueur de ces quelques exemples, chacun discerne aisément que l’île est confrontée à une mutation d’évidence économique mais également sociétale. Celle qui au nom de la modernité modifie les comportements individuels et collectifs.

Par ailleurs, ce marasme qui frappe de plein fouet l’Hexagone, atteint nos rivages, démontrant dans un aspect néfaste que l’insularité n’est pas un rempart aux vagues et soubresauts venus d’ailleurs.

Toutes ces contingences forgent une actualité artisanale précaire, sans que des rayons d’optimisme éclairent l’horizon.

Reflux de l’activité, devenir sombre, les petites entreprises mangent leur pain noir. Irréversible ? Gageons que le pire n’est jamais sûr. Il n’empêche en incidence et pour ternir s’il en était besoin le diagnostic, osons rappeler que pendant ce temps cotisations sociales et fiscales ne connaissent pas de trêve. Ajoutées aux frais fixes, elles contribuent à inciter chaque jour ou presque des « petits patrons » à jeter l’éponge.

En incidence, il convient d’apporter au débat que la Corse compte quelque trente mille travailleurs indépendants. Ce chiffre démontre à lui seul l’attrait pour l’auto-entreprise qui progressa l’an dernier de plus de onze pour cent. Depuis six mois, ce domaine a un statut moins avantageux qu’il s’agisse du taux de TVA ou d’imposition. Par ailleurs, même si cela n’est pas intimement lié, le coup de rabot sur l’apprentissage va restreindre encore les niches d’emplois. Des commerçants qui avaient encore la tête au-dessus de l’eau rechigneront à recruter un collaborateur issu des centres de formations, faute de bénéficier des aides à l’embauche en vigueur voilà peu de temps encore.

Multiples facettes

Une activité atone dans notre région. Des répercussions sur l’inflation, la précarité, un gouvernement confronté au mur de la dette et perclus par la récession le contraignant à amputer les aides directement ou de manière induite. Tel est le scénario mêlant aspects locaux et nationaux. Le résultat est connu. Il est contenu dans une phrase d’un président de tribunal de commerce faisant allusion à un possible point de non-retour.

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