Julie Benetti a été nommée rectrice le 18 juin dernier. Date ployant sous le symbole. Insulaire, jeune, brillante universitaire, elle habille sa fonction d’un supplément d’âme enraciné à sa connaissance d’un particularisme. Sa mission s’inscrit dans un credo : « décloisonner l’horizon de la jeunesse corse ».
Par Jean Poletti
Avenante, la voix posée, presque douce, qui ne dissimule pas une réelle volonté et la claire connaissance des enjeux de sa nouvelle fonction. Sa nomination ? « Un pur bonheur », certes liée à ses origines insulaires, qu’elle conjugue à l’un de ses préceptes : « L’éducation de nos enfants. » La professeure des universités, éminente juriste, ne s’enfermera pas, tant s’en faut, dans les certitudes du savoir théorique. Elle a d’ores et déjà programmé la visite de l’ensemble des collèges et lycées de l’île. Une pérégrination qui ouvrira un authentique espace de dialogue avec le monde pédagogique, les parents et élèves, dessinant en épilogue l’instauration d’une poli- tique éducative pour l’académie. Expliquer, écouter, harmoniser. Telle peut être la trilogie de la nouvelle rectrice. Sans faire d’amalgame avec l’autogestion, cela s’apparente implicitement à une révolution de velours. L’approche résolument moderne devrait rencontrer un écho largement favorable tant elle entre en résonance avec les attentes, parfois formulées, souvent implicites, du corps éducatif. Julie Benetti livre d’ailleurs, sans atermoiement, la philosophie de sa nouvelle fonction. Elle est duale. Fixer le cadre général dans le fil de ses responsabilités, et dans cet espace satisfaire les situations particulières. Une noble ambition qui irrigue le terreau de la meilleure réponse possible pour le succès des jeunes géné- rations. Nous voilà immergés dans le concept de l’égalité des chances. Celle qui permet en ville comme dans l’intérieur, d’offrir le meilleur sur le chemin des écoliers.
Au nom de l’équité
Aussi la scolarisation dans le rural fera-t-elle l’objet d’une attention soutenue. Elle transcende le simple fait éducatif pour atteindre un domaine sociétal qui ajoute à « l’équité des enfants dans le parcours scolaire la cohésion du territoire ». Une dimension prégnante chez nous, forgeant une Corse à deux visages. Sans qu’il faille l’habiller de connotation politique, dire que l’académie de Corse présente un particularisme, fut-il exclusivement lié aux diversités territoriales, relève de l’évidence. Spécificité ? Sans doute, mais employer le singulier porte-t-il le sceau de l’exactitude. Ne vaudrait-il pas mieux évoquer des spécificités ? Car la situation d’un établissement dans un centre- bourg, peuplé et à quelques encablures d’une grande ville, est-il en tout point semblable à celui qui est implanté dans une commune d’altitude ?Poser la question équivaut à formuler une réponse pétrie du simple bon sens. Une telle nuance ne pouvait échapper à la perspicacité de Julie Benetti. D’autant que ses origines mêlant Ajaccio et l’Alta-Rocca, la mer et la montagne, contribuèrent, tout autant que son engagement intellectuel, à ancrer son jugement.
Aussi, elle affirme sans ambages que «tous les efforts seront portés sur la résorption des inégalités sociales par le réseau d’éducation prioritaire, le dédoublement des classes préparatoires, la lutte contre le décrochage scolaire. Sans oublier le panel de mesures d’accompagnement dans l’orientation des élèves ». Cette stratégie affirmée avec une sorte de force tranquille n’en est que plus marquante. Sincérité et conviction affleurèrent tout au long de notre échange. Avec en point d’orgue, et revenant de manière formelle ou diffuse, la belle idée que « l’école aide à décloisonner l’horizon de la jeunesse corse ».
Ode au futur
Nous voilà plongés dans un éloge savoir. Celui qui permet de former les nouvelles générations aux défis du futur. Une possibilité qui immerge la scolarité dans un fait de société, ouvrant le champ du progrès individuel et collectif d’une communauté. Comme le dit Julie Benetti en forme de salutaire rappel trop souvent oublié : « Il s’agit de construire son avenir sur place, mais aussi l’ouvrir aux opportunités. Travailler à la valorisation des voies professionnelles, encourager la mobilité étudiante. En définitive, tirer parti de cet atout formidable de la situation géographique de l’île pour donner à sa jeunesse les plus grandes perspectives.» En un leitmotiv récurrent, la rectrice revient inlassablement sur l’acquisition des connaissances, pierre angulaire de l’évolution citoyenne. Aussi, est-elle ravie des résultats du bac qui placent la Corse dans le peloton de tête des académies. Mais elle ne souhaite nullement se contenter de ces lauriers. Car le cursus scolas- tique «laisse place à des marges de progression qu’il s’agisse du niveau moyen des élèves entrant en sixième. Mais aussi de l’acquisition des fonda- mentaux dans l’école primaire, sans occulter la voie professionnelle et l’apprentissage ». Sans parler d’arbre qui cache la forêt, la rectrice évoque aussi le décrochage. Terme générique indiquant ceux et celles, qui pour des raisons diverses et variées, entrent dans la vie active sans aucune qualification. Fatalité ? Nullement rétorque notre interlocutrice. Elle mettra tout en œuvre pour que «chaque jeune puisse obtenir un diplôme conforme à ses aspirations professionnelles ».
Les enjeux du savoir. Cette exigence de ne laisser personne sur le bord du chemin ne peut vraisemblablement pas être isolée d’une vision globale. Celle qui refuse de scinder artificiellement l’éducation en strates différentes, qui parfois s’ignorent superbement. Mais à l’inverse aspire à initier de la maternelle à l’université, une authentique unicité d’action, aux enjeux définis: donner à tous leur chance, au besoin par une sorte de discrimination positive. Hasard du calendrier, la réforme voulue par le ministre Jean-Michel Blanquer permettra à la nouvelle rectrice de valider pleinement ce qu’elle croit juste et bon pour la Corse. La taille de l’Académie, qui permet la proximité et l’échange, ne sera pas un handicap mais une chance. Dès la rentrée, les élèves de seconde seront testés sur leurs acquis et leurs besoins en mathématiques et en français. Jusqu’en terminale, « c’est le projet professionnel de l’élève qui sera au centre de l’enseignement ». Presque un enseignement à la carte. La finalité ? Elle a déjà été explicitée. Mais pour fixer les esprits rappelons qu’elle tend à élever le niveau des élèves dans l’acquisition des savoirs fondamentaux. Et, en corollaire leur permettre de choisir leurs orientations par des enseignements de spécialités. Du général au particulier les innovations ne manqueront pas. Ainsi, par exemple, figure en bonne place dans les dossiers de Julie Benetti une fédération interacadémique des métiers de la restauration, de l’hôtellerie et de l’œnologie. Explication : « Créer un réseau de formation mutualisant les compétences entre Aix, Marseille, Nice et la Corse. » Objectif ? Initier une logique d’échange au niveau de l’arc méditerranéen, pour répondre aux besoins de l’activité touristique, tout en favorisant la mobilité. Une initiative qui aura vraisemblablement besoin de l’appui de la collectivité unique. Mais sans jouer les augures ou lire dans le marc de café, rien n’interdit de penser que le président du Conseil exécutif, et l’Assemblée verront d’un bon œil cette idée qui conjugue l’originalité avec une nécessité certaine.
Scola corsa
Ce tour d’horizon qui ne se veut nullement exhaustif, mais dévolu à mieux connaître la vision générale de la rectrice, ne peut toutefois être amputé de la récurrente question sur l’enseignement di a lingua nustrale. Particularisme encore et toujours, au sein d’une académie tout à la fois semblable et différente des autres. Là aussi les réponses sont pétries dans le parler- vrai et un volontarisme qui tranche assurément avec tels de ses prédécesseurs. D’emblée un constat : « Nul ne peut se satisfaire de la disparition d’une langue. Elle emporterait tout un pan de notre culture et de notre mémoire. » Dès lors, Julie Benetti se dit pleinement attachée à préserver et soutenir l’enseignement du corse, engagé depuis quelques années déjà. Elle rappelle à toutes fins utiles l’effort sans équivalent de l’État. Et de souligner en substance « qu’actuellement dans le primaire la quasi-totalité des élèves suivent un enseignement de la langue corse, et parmi eux quelque dix mille ont fait le choix d’une classe bilingue». Tout est-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ? «J’ai conscience des difficultés qui se posent dans le second degré. Notamment dans le domaine du recrutement, de la formation et de l’accompagnement des enseignants habilités à dispenser un enseignement. » Le remède ? « Tirer le bilan de ces dispositifs et les évaluer. Cela permettra de déceler ce qui fonctionne bien et ce qui mérite d’être amélioré.»
Évolution créatrice
D’une annonce, l’autre, la rectrice persiste et signe comme pour mieux prendre date. En milieu rural, la scolarisation bénéficiera de toute son attention, à l’image du maintien des classes uniques. S’agissant plus précisé- ment de la carte scolaire, bonne nouvelle qui dissipera l’éventuelle expectative parfois tein- tée de revendication, lors de certaines rentrées : «Malgré une légère baisse des effectifs, l’ensemble des classes sera maintenu cette année. »
L’ensemble de ce dispositif, qui s’apparente à un changement réel dans la continuité ambiante, décrit en filigrane et mieux que longues digressions l’impérieux désir de réus- site. Non pour en tirer une plausible satis- faction personnelle, qui serait vain artifice. Mais afin de faire triompher la jeunesse. Sans qu’elle ne le dise plus que de raison, sans doute par modestie, ce combat est à ses yeux le seul qui vaille véritablement. Heureuse d’être à ce poste qui lui permet de renouer avec ses racines, la rectrice n’a sans doute pas oublié qu’elle intégra sous la houlette de Guy Carcassonne l’équipe de constitutionnalistes qui travailla sur l’évolution du statut de l’Île. En bannissant toute grandiloquence, osons dire en péroraison que Julie Benetti n’occupe pas seulement une signalée fonction. Première femme à ce poste ici, elle se trouve sans conteste en territoire connu. Et peut-être aussi un peu en terre de mission, reflet d’une affection.
Les ingrédients d’une réussite, dont on accepte bien volontiers l’augure.
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