La sentinelle de la route
À Luri, Émilie Tomei a créé sa propre entreprise, spécialisée dans le dépannage et le remorquage automobiles. Une activité qui est plutôt réservée aux hommes mais dans laquelle cette jeune mère de famille, également pompier volontaire, s’épanouit pleinement.
Par Petru Altiani
Guidée par la volonté de construire sa vie au cœur du village qui l’a vu naître et grandir, elle a fini par sauter le pas. Il lui aura fallu une période de réflexion pour peser le pour et le contre. Mais, après avoir enchaîné les petits boulots, la nécessité de se stabiliser et de se mettre à son compte s’est imposée à elle. Le cap de la trentaine tout juste franchi, Émilie a ainsi, en janvier 2016, porté sur les fonts baptismaux l’EURL Tomei Remorquage avec comme lieu d’implantation, bien sûr, la commune de Luri qui, avec ses 800 habitants, occupe une position centrale dans le Cap Corse. Stratégique, même, lorsqu’il s’agit de dépannage de véhicules accidentés ou en panne. « Il y avait un vrai besoin. Les personnes concernées attendaient souvent que des remorqueurs leur viennent en aide depuis Bastia ou Saint-Florent », explique celle qui est aussi sapeur-pompier volontaire dès que son emploi du temps lui permet. «Je prends des gardes à la caserne de Luri depuis mes 18 ans. C’est en quelque sorte ma deuxième maison avec un esprit de famille qui est très présent », poursuit Émilie dans un large sourire. «C’est mon papa qui m’a transmis le goût de cet engagement citoyen. Il est sapeur-pompier professionnel.»
La passion au cœur
Émilie a mis le pied à l’étrier, dès l’âge de 12 ans, en comptant parmi les cadets des pompiers de Corse. « J’ai ensuite passé et validé plusieurs diplômes », indique- t-elle. « Je suis aujourd’hui sous-officier au grade de sergent et titulaire du permis poids lourd codes 1 et 2. » Elle intervient par ailleurs en tant que chef d’agrès sur les missions de secours d’urgences en matière de feux de forêts, d’accidents de la route et d’autres opérations.
Souvent confrontée à des situations extrêmes, Émilie est aux commandes d’un engin armé par un groupe de trois sapeurs-pompiers. «J’étais par exemple au volant du camion spécialisé qui était mobilisé, durant l’été 2017, sur le terrible incendie de Siscu comme sur celui de janvier dernier qui a, une nouvelle fois, impacté la commune. Cela a nécessité un très gros travail sur le terrain, porté par la force du travail en équipe que j’affectionne tout particulièrement. »
Dans toutes ses activités, le fil conducteur d’Émilie n’est autre que la passion auto- mobile. « J’ai toujours aimé les voitures et les camions », dit-elle, des étincelles plein les yeux. « J’ai eu très tôt l’envie de conduire. » C’est ce qui l’a motivée, à l’adolescence, à quitter Luri pour rejoindre Ajaccio et le lycée professionnel Jules Antonini où elle a suivi et obtenu un BEP « Conduite et services dans le transport routier ».
« À l’époque, ce n’était pas évident d’être éloignée du giron familial mais je voulais faire ces études à tout prix. Je me suis donc motivée en en acceptant les contraintes. Je me souviens notamment qu’avec les filles inscrites comme moi à cette formation, nous devions dormir à l’internat du lycée professionnel du Finosello puisque celui du « Jules Antonini » n’était réservé qu’aux garçons. »
Des situations extrêmes
Une fois son diplôme en poche, la jeune femme, alors âgée de 16 ans, décide de valider sa licence de conductrice junior de rallye et de participer à plusieurs courses à commencer par le Rallye de Pila Canale, en qualité de co-pilote de Michel Marchetti, à bord d’une Samba Rallye. « Cela me trottait dans la tête depuis l’enfance », confie Émilie. «Quand nous étions petits, avec mes deux frères, nous allions voir les voitures s’entraîner pour la Ronde de la Giraglia. Je caressais le rêve d’être pilote. » Et ce jour-là a fini par arriver. « J’avais 20 ans et me suis retrouvée en lice pour le Rallye de Biguglia, à bord, cette fois, de ma propre voiture : une 106 Rallye N1.
Le co-pilote n’était autre que ma maman, Patricia Tomei. J’avais un peu la pression au départ mais me suis rapidement laisser prendre au jeu. Pendant quelques années, cela m’a permis de vivre des sensations fortes et des moments trempant dans l’adrénaline tout simplement incomparables. »
C’est à l’arrivée de son petit Louka, 10 ans aujourd’hui, qu’Émilie a mis un terme à son épopée de pilote de rallye. Enfin presque… Puisque la dynamique Capcorsine est toujours en contact avec le monde des courses automobiles. « Je suis appelée par les organisations de la Ronde de la Giraglia ou encore, comme cela a été récemment le cas, par le Tour de Corse, manche française du championnat du monde des rallyes. J’y suis au titre d’opératrice de dépannage et de remorquage. » Un gage de reconnaissance et de développement pour sa petite entreprise qui, en l’espace de deux ans, a su se faire une place auprès des plateformes d’assurances avec lesquelles elle travaille dans le cadre d’agréments. «Je suis en lien avec de nombreux grands groupes nationaux et les assureurs de l’île. Mais il m’arrive aussi de collaborer avec des organismes italiens en particulier lors de la saison estivale. Les gendarmeries de Luri et d’Erbalonga me contactent également en cas d’accidents de la route.»
Féminisation du secteur
«Je suis seule pour le fonctionnement de ma société. Il faut être disponible 7 jours/7, 24h/24. J’assure les remorquages, la facturation de même que les comptes rendus d’intervention. » Là aussi, les situations sont parfois extrêmes. Émilie va à la rescousse des touristes égarés qui se retrouvent en difficultés sur des pistes dangereuses et quasi-impraticables. « Les interventions ne sont pas évidentes. La voiture peut être par exemple au fond d’un fossé ou au bord de la chaussée retenue par une branche d’arbre. » Émilie le reconnaît elle-même « il s’agit d’une profession qui exige une certaine force physique. Plus les véhicules à remorquer sont gros, plus les équipements que l’on utilise sont pesants. Mais je ne connais pas la routine. Aucun dépannage n’est pareil, je suis toujours en mouvement. J’adore mon métier ». Un métier plutôt réservé aux hommes. Sur cette question, Émilie est très à l’aise. « Je n’ai jamais eu de problème avec ça. Les formations auxquelles je participe sont bien sûr beaucoup plus fréquentées par la gent masculine. Cependant, force est de constater qu’il y a de plus en plus de femmes qui conduisent des semi-remorques ou des autocars. La tendance à la féminisation de ce secteur. » Et d’ajouter : « Les clients sont au départ un peu surpris mais d’un autre côté cela les rassure aussi quelque peu. Il arrive que certains prennent des photos souvenirs. C’est plutôt sympa. » Équipée d’un poids lourd Renault avec grue et potence de levage, d’un véhicule utilitaire Iveco ou encore d’une Jeep Cherokee 4×4, Émilie propose une large palette d’interventions en étroit partenariat avec les garages automobiles de la microrégion.
Droit vers l’avenir
« Je ramasse également les épaves. C’est une activité complémentaire. Je les stocke dans mon dépôt et la Casse vient ensuite les récupérer. Je contribue ainsi, d’une certaine manière, au nettoyage du Cap Corse. Cela arrange tout le monde, même les mairies, car avec le renforcement du contrôle technique prévu à partir du 20 mai 2018, 132 points seront désormais à vérifier couvrant 606 défaillances potentielles. De ce fait, la plupart des propriétaires ayant d’anciens véhicules ne préfèrent plus effectuer de réparations et décident de s’en séparer. » Côté projets, Émilie ambitionne de poursuivre la structuration de son entreprise par l’acquisition, entre autres, d’un poids lourd doté d’un système de remorquage pour deux véhicules. Cela passera, en outre, par l’obtention de nouveaux agréments et, sans doute, la création d’un emploi à plein temps pour l’assister dans toutes les tâches qu’elle accomplit au quotidien. « L’essentiel c’est de se lever le matin et de faire quelque chose que l’on aime.» Un leitmotiv qui, il y a quelques années en arrière, lui a ouvert la voie et qu’elle a à cœur aujourd’hui de partager avec son fils, en roulant vers l’avenir.
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