La SNCM otage du scandale Transdev ?
Contrairement à ce que l’on a pu lire et entendre, le dernier conseil de surveillance de la SNCM du 7 mars marque une nouvelle étape des hostilités ouvertes contre la compagnie maritime. Les déclarations du ministre des transports donnant instructions (du chef de l’Etat) d’approuver la commande de quatre navires suivi du vote positif des représentants de l’Etat ne sont qu’un épisode de plus dans la tentative de mise à mort de la compagnie. Les déclarations des le lendemain du PDG de Veolia, Antoine Frérot, en apporte une preuve supplémentaire. On comprend mieux aujourd’hui les raisons de son acharnement. Le scandale actuel de la SNCM et celui de sa privatisation ne seraient qu’une partie d’un scandale financier encore plus grand, celui du mariage de Veolia transport avec Transdev, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, réalisé au frais de l’Etat.
On nous cache tout on nous dit rien
A la fin du dernier conseil de surveillance de la SNCM du 7 mars, une information a en effet été passée volontairement sous silence dans l’exercice de communication destiné à prouver que le Gouvernement tenait sa parole : Transdev actionnaire majoritaire à 66 % de la SNCM a voté contre la proposition d’une lettre d’intention de commande de nouveaux navires. Transdev se sont Jean-Marc Janaillac son président et donc Jean-Pierre Jouyet directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations, deux proches camarades de la promotion Voltaire du chef de l’Etat, à parité dans Transdev avec Veolia pour 50%. Mais Jean-Pierre Jouyet est également président de la Banque Publique d’Investissement et dirige les deux bras financiers de l’État qui doivent décider du plan de financement des futurs navires de la SNCM, avant le 15 Avril. Comment interpréter des lors ce double langage du Gouvernement ? Une partition à quatre mains jouée par le gentil gouvernement et le méchant Veolia ?
A ce jour, aucune des nombreuses questions posées dans notre dernier article (SNCM : Que veut le Gouvernement ? http://www.parolesdecorse.fr/?p=1335 ) n’a encore trouvé un commencement de réponse ! Et notamment pour les principales questions : Qui décide sur ce dossier, un grand patron, les politiques ou la haute administration de l’Etat ? De quelle lutte entre réseaux d’influence au sein du monde des affaires et de l’appareil d’Etat, de quelle partie de mécano industriel et financier la SNCM est-elle l’otage? Les dernières déclarations d’Antoine Frérot, le PDG de Veolia, contredisant le lendemain les décisions prises par le conseil de surveillance apportent sans doute des éléments de réponse. Mais les récents propos de Jean-Pierre Jouyet évoquant un scandale à propos du rachat de Veolia Transdev par la Caisse des Dépôts et Consignations sont plus encore révélateurs des véritables enjeux de ce dossier.
De l’eau dans le gaz…de schiste pour Veolia!
Le 8 mars au cours d’une émission économique de France Info, « Patron-chef d’entreprise » (à faire tourner en boucle dans toutes les écoles de journalisme de révérence), Antoine Frérot passe aux aveux avec un art consommé de l’administration de ses seules vérités.
L’avant propos de France Info ouvre tout de suite l’appétit : « Véolia, leader mondial de la gestion de l’eau et des déchets a acquis un savoir-faire dans la dépollution. La gestion de l’eau n’est plus sa seule activité. Acteur international dans les solutions de dépollution, Veolia est récemment intervenu au Japon ou dans la dépollution des armes chimiques en Syrie. .. » Ceux qui veulent connaitre les excellents résultats de Veolia dus à son excellent PDG et savoir comment la décision d’exploiter les gaz de schiste en France est en cours d’élaboration peuvent écouter sans modération depuis le début. Ceux qui ne sont intéressés que par le sort réservé à la SNCM et les raisons qui poussent à sa disparition peuvent n’écouter qu’à partir de 9 minutes 19. Les autres peuvent se résigner, ces opérations sont en cours.
Que dit Frérot : apparemment rien de nouveau si ce n’est une confirmation de ce que nous avons toujours dénoncé: Que le ciel nous préserve de l’achat de quatre bateaux par la SNCM ; qu’une lettre d’intention n’est heureusement pas une commande ; que la compagnie est vouée à disparaitre et qu’il faut mettre sous protection du tribunal de commerce sa partie viable, la DSP, afin d’éviter les demandes de remboursements de Bruxelles; que Transdev dont il veut se débarrasser à tout prix est une magnifique société. Les mêmes ritournelles toujours rabâchées. Sauf que les problèmes financiers de la SNCM maintes fois affirmés ont disparus de son discours et que sur les deux demandes de la Commission européenne de 440 M d’€ de remboursement, il n’en reste plus qu’une seule de 220 Md’€. Justement celle qui concerne les conditions de privatisation de la SNCM et qui est l’objet d’un litige devant le tribunal de commerce de Paris entre Veolia et l’Etat. Et cerise sur le gâteau, il nous apprend que c’est la CDC qui veut se débarrasser de la SNCM car sa survie bloquerait le deal sur Transdev, alors que lui ne pense qu’à la protéger ! La protéger où la garder en otage pour d’inavouables tractations ?
De manière pas si anecdotique que ça, on comprend mieux également le silence d’Arnaud Montebourg, le chantre de l’extraction écologique des gaz de schiste, sur le dossier de la SNCM. Une idée qui fait son chemin et à laquelle se serait rallié le chef de l’Etat, sans doute convaincu par d’intenses lobbyings et par son ami Obama lors de sa récente visite aux USA. Les pétroliers apprécient. Veolia aussi ! Les verts moins, mais est ce si grave. On verra comme pour le reste après les municipales et le remaniement ministériel.
Les aveux baroques de Jouyet
Encore plus édifiant, les déclarations graves à propos de Transdev de Jean Pierre Jouyet répondant au représentant CFDT lors du Comité de groupe de la Caisse des Dépôts : « Comme je l’ai déjà dit à certains d’entre vous, j’ai rarement vu dans ma vie professionnelle une opération aussi baroque ? Je ne sais pas qui l’a inspirée, qui l’a faite, mais cela a déjà été fait par quelqu’un de baroque, qui cumulait les fonctions dans deux entreprises et cela a été suivi par la Caisse des dépôts avec instruction ou pas instruction….. C’est quand même la première fois que je vois dans ma vie professionnelle que l’on subventionne très fortement une entreprise pour qu’elle rachète un réseau, Transdev, et qu’un an et demi après, on demande à la Caisse des Dépôts de reprendre cette entreprise ! Si une enquête était menée là-dessus, j’aime mieux vous dire que ce ne serait pas beau à voir. Il y a d’autres scandales dans ce pays qui sont dénoncés, celui en est un !…….
Pour VTD nous mettrons tous les moyens, toutes les compétences voulues pour rassurer les collectivités locales….. Nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour véritablement faire fructifier cette entreprise et ce groupe. Voilà ce que je peux vous dire. Nous serons extrêmement mobilisés et nous choisirons les bonnes personnes pour conduire à bien ce projet. »
Mais de quoi et de qui parle donc cet éminent personnage au cœur des affaires de l’Etat ? De quel scandale « pas beau à voir » ? De quelle opération baroque et de quel personnage baroque et sur instructions de qui ? Du deal passé entre Veolia et la CDC pour le rachat de Transdev dont Antoine Frérot nous explique que le dossier SNCM bloque la réalisation juteuse ? Est-ce un avertissement lourd de sous entendus à Antoine Frérot et à ses alliés ? Jean Pierre Jouyet en dit trop ou pas assez.
Transdev une belle compagnie ?
Vous n’y comprenez rien au dossier SNCM, rassurez vous, vous y comprendrez encore moins au dossier Transdev, sinon qu’à la fin ce sont les contribuables qui devront payer la note et les salariés qui trinqueront avec la SNCM appelée à disparaitre! Une fois de plus diront les résignés du système, une fois de trop pour tous ceux qui souhaitent réellement une amélioration des transports entre la Corse et le Continent. Un problème inconnu pour les élites parisiennes. Un peu d’histoire. La compagnie Transdev, encore nommée Veolia Transdev, est née de la fusion des activités transports de la filiale de la Caisse des dépôts, Transdev , avec Véolia transport afin de créer le premier groupe mondial de transports urbains. Les énarques raffolent de ce genre de mécano ! Depuis 2009 la CDC, alors dirigée par Augustin de Romanet de Beaune, un énarque grand commis de l’Etat chiraquien, souhaitait vendre sa filiale transport. Ce personnage a exercé de hautes responsabilités au sein de différents cabinets ministériels et a été secrétaire général adjoint de la Présidence de la République de juin 2005 à octobre 2006, il est également resté administrateur de Veolia Environnement de 2007 à 2012. Apres une lutte acharnée entre Kèolis, la filiale transport urbains de la SNCF, et Veolia sur arrière fond de tractations avec la RATP, c’est finalement Veolia qui devait l’emporter, grâce au soutien de l’Élysée et notamment de son secrétaire général, Claude Guéant. Un non sens économique pour beaucoup d’observateurs. La rivalité entre Kéolis et Transdev est toujours et plus que jamais d’actualité. Henri Proglio est encore PDG de Veolia à l’époque avant de prendre la tête d’EDF en novembre 2009, tout en restant président non exécutif de Veolia. C’est lui qui avait développé les activités transports de la multinationale et qui était aux commandes au moment de la privatisation de la SNCM, avec aides et recapitalisation de l’Etat au bénéfice de Veolia transport. Apre négociations, il est décidé en 2010 de fusionner Transdev et Veolia transport dans une nouvelle entité Transdev, détenue à 50/50 par Veolia et la CDC. La direction opérationnelle restant à Veolia, la CDC apportant son soutien financier à long terme, notamment par une augmentation de capital de 200 M d’€. L’opération pouvait avoir lieu au premier semestre 2011 ou fin 2011 selon la date à laquelle Bruxelles devait donner son feu vert à la fusion. Le 3 mars 2011, le groupe Transdev est fusionné avec Veolia Transport, pour donner naissance à « Veolia Transdev ».Une introduction en bourse de la nouvelle entreprise, qui pourrait changer de nom, est alors prévue dans les 12 mois qui suivent la fusion. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes des affaires.
La Caisse des dépôts une vache à lait ?
Le 6 décembre 2011 adieux veaux, vaches, cochons, couvées, Veolia Environnement en grande difficulté financière annonce brutalement son intention de céder ses activités dans les transports publics. Un aller-retour qualifié d’inhabituel dans le capitalisme français. Antoine Frérot nouveau PDG de Veolia n’a qu’une hâte, faire table rase des années Proglio et se débarrasser des activités de Veolia transport qui plombent les cours boursiers de sa société (« Le groupe a confirmé qu’il allait se séparer de Transdev. Après deux profit warning en moins de six mois et une dette de 15 milliards d’euros, Antoine Frérot, le PDG du groupe est contraint de trancher dans le vif. »). Son poste est en jeux. Le même jour, la Caisse des Dépôts, actionnaire paritaire de Veolia Transdev, annonce qu’elle confirme son engagement auprès de Veolia Transdev. Elle devait par la suite reprendre progressivement le contrôle de Transdev en montant à 60% du capital. Mai 2012, changement de Président de la République, changement de directeur à la CDC, les négociations reprennent. La cession se révèle plus compliquée que prévu, poussant Veolia à étaler dans le temps sa sortie de scène des transports, sans doute jusqu’en 2014. En mars 2013, deux ans après la fusion, Transdev qui compte 1,9 milliards d’€ de dettes, doit être à nouveau recapitalisée à hauteur de 800 M € (520 millions par la Caisse des dépôts et 280 millions par Veolia). Pour se désengager Veolia doit reprendre en direct, et à valeur négative, les parts de Transdev dans la SNCM. Une dépréciation déjà totale de la valeur de la compagnie, prélude à une liquidation sans douleur et à un dépeçage programmé avec d’autres acteurs influents du dossier. Mais avec les demandes de remboursement de l’Europe le deal est bloqué. Qui doit régler la note ? Veolia veut se défausser sur l’Etat qui estime l’avoir déjà largement payé, à travers la privatisation de la SNCM et le rachat de Transdev , si l’on en croit les propos de Jean-Pierre Jouyet ! Parallèlement, afin de réduire son fort endettement Transdev doit procéder à un grand nombre de ventes d’actifs correspondant à un quart de ses activités…C’est ce que Frérot appelle une belle compagnie !
Vous avez dit baroque ?
Le président actuel de Transdev , Jean-Marc Janaillac, est nommé le 3 décembre 2012 à la suite de la démission d’Antoine Frérot de son poste de président du conseil d’administration de Veolia Transdev, il est également membre du comité de direction du groupe Caisse des dépôts. Il est lui aussi un énarque de la promotion Voltaire, ancien directeur général au développement du groupe RATP et président du directoire de RATP Dev, déjà présent lors du rapprochement entre Veolia et Transdev qui avait repris les activités d’une filiale transports de la RATP. Il se murmure à Paris qu’à cause de la SNCM il voit s’éloigner le poste au combien envié de la présidence des Aéroports de Paris, aujourd’hui détenu par… Augustin de Romanet depuis le 28 novembre 2012, celui qui a justement initié le deal entre Veolia et la CDC. Le monde des énarques est décidément trop petit. Quant à celui qui a finalisé cet accord , ce n’est autre que l’ancien directeur par intérim de la CDC avant l’arrivée de Jouyet , Antoine Gosset-Grainville (inspecteur des finances, énarque promotion Gambetta comme Nicolas Revel le secrétaire adjoint actuel de l’Elysée) alors directeur général adjoint, chargé du pilotage des finances, de la stratégie, des participations et de l’international de la CDC depuis le 1er mai 2010. Ce n’est pas un inconnu pour la SNCM ! Il était au cabinet d’avocats conseil de Butler à Paris et à Bruxelles lors de la privatisation de la SNCM et membre du cabinet de Fillon à Matignon au moment de la sortie de Butler avec les bénéfices que l’on connait, mais aussi de la validation du deal entre Veolia et la CDC. Il est redevenu aujourd’hui avocat d’affaires aux multiples relations, en s’interdisant toute activité en rapport avec la CDC. On peut le comprendre.
Je te tiens tu me tiens par la barbichette…
Face au scandale financier qui se profile et aux enjeux de l’exploitation du gaz de schiste pour le Gouvernement et Veolia, on se doute que le sort de la SNCM et de ses salariés ne pèse pas très lourd. Mais on peut se demander aussi pourquoi elle est au cœur de ces tractations où tout le monde, Etat, Gouvernement et milieux d’affaires se tiennent pour d’inavouables raisons. De simples querelles d’égos ? Le même mépris partagé pour la Corse, Marseille et le Maghreb de la part de ces personnages puissants, tous aussi baroques les uns que les autres, qui rentrent chez eux dans le 16 eme arrondissement ou à Neuilly dans leur limousine avec chauffeur ? De simples intérêts financiers ? Des luttes de clans ? Sans oublier la présence discrète de Francis Lemor, président de la STEF, le roi du transport frigorifique, et propriétaire de la CMN/Méridionale, très actif pour participer au partage des dépouilles de la SNCM en association avec la Collectivité Territoriale de Corse. Il mène toujours un intense lobbying politique pour interdire les lignes de Toulon et de Nice à la SNCM préjudiciable à ses intérêts. L’option défendue aussi par Frérot.
Plus qu’un boulet, la SNCM avec sa charge symbolique et politique serait bien la victime idéale qui devrait servir de bouc émissaire à toutes ces opérations. Rien de tel pour ressouder les liens d’une communauté financière déchirée et se préserver des aléas éventuels du ciel invoqués par Antoine Frérot à la radio. La Bourse y serait très sensible.
Vers une demande d’enquête ?
Jean-Pierre Jouyet a raison, une enquête s’impose. Pourquoi ne pas la demande-t-il pas lui-même alors qu’il en connait tous les tenants et aboutissants ? Apres l’évocation par Patrick Mennucci, candidat PS aux municipales de Marseille, d’un éventuel délit d’initiés dans le dossier SNCM, aucun fonctionnaire de l’Etat ne peut saisir la justice au nom de l’article 40 afin de faire la lumière sur ces dossiers « pas beau à voir » ? (« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1. Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. ») Quels élus auront le courage de demander la création d’une nouvelle commission d’enquête parlementaire sur ces turpitudes de l’Etat et de ses amis ? Si elle aboutit au même résultat que celle menée sur la privatisation de la SNCM et dont Paul Giacobbi était rapporteur, on peut douter de son utilité. Mais d’une manière ou d’une autre, la vérité finit toujours par se savoir. Et elle est plus grave de jour en jour. Que veut vraiment le Gouvernement ?
Paul Antonietti
Pour mieux comprendre les enjeux :
Le Figaro du 20/07/2009 : http://www.lefigaro.fr/societes/2009/07/20/04015-20090720ARTFIG00182-feu-vert-au-rapprochement-de-veolia-et-transdev-.php
Le Figaro le 06/05/2010 : http://www.lefigaro.fr/societes/2010/05/05/04015-20100505ARTFIG00719-veolia-transdev-nouveau-leader-du-transport.php
Le Figaro du 19/12/2011 : http://www.lefigaro.fr/societes/2011/12/14/04015-20111214ARTFIG00612-l-avenir-en-suspens-du-geant-du-transport-veolia-transdev.php
L’interview d’Antoine Gosset-Grainville dans Challenge du 07-05-2013
L’interview de Jean-Marc Janaillac dans Challenge le 11-09 2013 :
Pour tout savoir sur ce dossier le blog d’Alain Verdi, journaliste à France 3 Corse/ Via Stella :
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