La stratégie de la banalisation

Chronique

Les relations entre l’Etat et les nationalistes ont pris une nouvelle tournure depuis quelques semaines. Est-ce le fruit d’une stratégie alors que revient le projet de loi constitutionnelle qui pourrait conduire à l’inscription de la Corse dans la loi fondamentale ?

Par Vincent de Bernardi

« Rien ne va plus entre Paris et la Corse » ou devrait-on dire entre Emmanuel Macron et Gille ? Ce titre d’un papier du magazine Le Point pousse jusqu’à l’euphémisme une relation qui ne s’est jamais vraiment établie. D’emblée, elle a pris un mauvais pli. Cela ne date pas d’hier, ni de la dernière visite houleuse du président de la République, venu commémoré il y 13 mois, la mort du Préfet Claude Erignac.   D’abord, il y a entre Emmanuel Macron et la Corse une incompréhension mutuelle. Lors de la campagne présidentielle, la doctrine « en marche » a eu du mal à accoucher. Moins de relais, moins d’attaches, une approche plus technocratique, le lien d’Emmanuel Macron avec l’île est apparu superficiel, moins charnel que ne le fut celui qu’entretenait Nicolas Sarkozy. Cela s’est illustré dans les urnes. Les Corses n’ont pas cru en lui. Rien d’étonnant qu’aux législatives, la République en Marche ait fait du sur-place. Lors de la victoire des nationalistes fin 2017, le pouvoir a d’emblée éludé le dialogue, considérant que le cas corse se résumait à une simple question d’administration territoriale. La nomination d’une Madame Corse, à l’époque ministre déléguée aux collectivités territoriales, témoignait bien d’une vision comme d’une approche purement technique. Pour autant, la stratégie gouvernementale à l’égard des nationalistes a contribué à isoler voire à marginaliser le discours d’émancipation d’une majorité nationaliste tiraillée entre quête d’autonomie et revendication d’indépendance. L’espace ouvert par l’affaire catalane a vite été refermé, en partie grâce à cette stratégie.

La voix des régions

Depuis, l’action réformatrice des nationalistes s’est heurtée à un traitement poli de la part du Gouvernement. Les visites ministérielles ont continué, comme à l’accoutumée. Les rencontres se sont poursuivies, ne débouchant sur rien ou pas grand-chose. En revanche, dans l’île, l’Etat a repris la main sur de nombreux dossiers que la collectivité unique ne parvient pas à traiter : gestion des déchets, aménagement du territoire, programmation énergétique…

La pression a semblé monter d’un cran lorsque Gilles Simeoni a décliné une rencontre avec Emmanuel Macron à l’Elysée fin février. Etait- ce une gesticulation ou la tentative d’installer un nouveau rapport de force après les vexations infligées par le chef de l’Etat à Ajaccio et Bastia en février 2018 ? En réalité, les nationalistes cherchent une nouvelle prise pour peser à nouveau dans le débat. Leurs revendications sur la langue, l’amnistie pour les prisonniers, le statut de résident, la reconnaissance de la spécificité dans la Constitution piétinent. Et pendant ce temps, l’Etat agit là où la collectivité unique n’avance pas. Véritable stratégie de banalisation, Paris cherche à marginaliser l’exécutif insulaire qui peine à trouver la bonne attitude. A la veille d’un nouvel examen du projet de loi constitutionnel, leur voix pour une reconnaissance de la spécificité Corse ne porte guère. Le seul angle pourrait venir des autres régions qui, dans les conclusions du grand débat national, pourraient faire valoir un approfondissement de la décentralisation.

 La leçon des gilets jaunes

En effet, pour retisser des liens trop distendus entre les Français et leurs représentants, pour rapprocher la décision du citoyen, le Gouvernement pourrait être tenté par un nouvel acte de décentralisation. La révolte des gilets jaunes, même si elle a démarré sur un ras-le-bol fiscal, a aussi souligné la nécessité d’une approche plus participative et moins centralisatrice. Dans cette hypothèse d’une nouvelle vague qui pourrait être aussi forte que celle provoquée par les lois Deferre de 1982, le cas particulier de la Corse pourrait apparaître comme anecdotique et se fondre dans le mouvement, perdant ainsi toute spécificité.  

 La  série d’attentats survenus dans l’île dans la nuit du 10 mars dernier, après l’annonce de la visite, finalement reportée d’Emmanuel Macron, pourrait être un signal envoyé par ceux qui pensent que seul le retour des attentats peut faire bouger les lignes et progresser la cause.

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