La toute-puissance a une fin
L’État se plaît à faire croire en sa toute-puissance. La crise du Covid l’a conforté dans cette posture. À bon droit, puisqu’il a été, de fait, aux avant-postes pour protéger et soutenir.
Par Vincent de Bernardi
Depuis, installé dans ce rôle, il est sur tous les fronts pour venir en aide à ceux que la crise de l’énergie étouffe, pour engager le pays sur la route de la transition écologique, pour aider l’Ukraine contre la barbarie de Poutine. Mais, en réalité, est-il aussi omnipotent qu’il ne le croit ? Jacques Chevallier, professeur de droit à l’Université Panthéon Assas, dans un ouvrage intitulé L’État en France brosse le portrait d’un État traversé par une crise profonde. Et cela ne date pas d’hier. Pour lui, la désacralisation remonte aux années 70, et la fin du « moment Gaullien ». Vu comme centralisateur, colonisateur, l’État est devenu « faillible ». En Corse, l’affaire d’Aléria illustre cette vulnérabilité d’un État, qui par volonté d’incarner l’ordre et la raison, a montré ses faiblesses.
Au fil des années, il n’a plus pu se targuer de représenter à lui seul l’intérêt général. Jacques Chevallier souligne que les citoyens lui contestent cette prérogative, que l’Union européenne lui impose de renoncer au monopole de sa puissance qu’il exerçait au travers des services publics. Pour lui « la France est un exemple paroxystique de modèle étatique ». Et même si « la noblesse d’État, le savoir d’État, la culture d’État restent présents », ils sont sur la défensive, accusés de ce qui en régime libéral est – à juste titre – péché capital : l’abus de pouvoir.
Missions contradictoires
Dans une interview qu’il donne à Charles Jaigu dans les colonnes du Figaro, Jacques Chevallier souligne que l’État est confronté à une double mission contradictoire : imposer sa vision de l’intérêt général et son monopole des moyens de la mettre en œuvre, tout en protégeant les individus contre les débordements de ce monopole. Il y a quelque chose d’assez « macronien » dans l’État, un « en même temps » qui le pousse à intervenir mais aussi à laisser faire. C’est la création de l’État-providence qui a été le prétexte d’une intervention tous azimuts dans l’économie. Depuis, le laisser-faire n’a pas vraiment repris ses droits, en dépit des couplets habituels sur cette tentation libérale jamais véritablement assumée.
Cette situation nourrit l’opposition entre jacobins et girondins, entre souverainistes et européistes, entre libéraux et bonapartistes. Malgré cela, l’État entend garder la main, à grand coup de « quoi qu’il en coûte ». Dans un monde de plus en plus fragmenté, où les demandes de reconnaissance des particularismes ou des spécificités s’intensifient, le modèle unitaire n’a jamais véritablement été remis en cause. Ni la décentralisation, ni la construction européenne, n’y sont parvenues. Jacques Chevallier observe que, même affaiblis, les services publics ont été protégés et leur « mystique » s’est perpétuée. La gauche n’y voit rien à redire tandis que la droite, occupée à chercher les moyens de survivre, s’en accommode. Quelques voix s’élèvent pourtant pour dénoncer une machine bureaucratique en voie d’effondrement.
État… des lieux
Henri Guaino est de ceux-là. Mais pour des raisons différentes. Parce que, selon lui, « il est miné depuis des décennies par une idéologie anti-État aux effets dévastateurs. Nous avons laissé faire les démolisseurs quand nous ne les avons pas encouragés. Nous avons fait de l’État le responsable de tous nos maux ».
L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée dénonce cette mode du management public, copié sur les méthodes du privé, pour faire fonctionner l’État comme une entreprise. « Et comme on aurait pu s’y attendre, on n’a pas réussi à en faire une entreprise, mais on a réussi à en faire un monstre bureaucratique géré par le rationnement budgétaire et les critères comptables. »
Dans un registre différent, David Lisnard, le président de l’Association des Maires de France, tout en dénonçant un « étatisme devenu l’un des fléaux de la France », appelle à revenir à la responsabilité individuelle pour retrouver l’efficacité collective, réorganiser les pouvoirs publics. Pour lui, cette question devrait être au cœur du débat politique, car seule la performance publique peut permettre de restaurer l’autorité régalienne, de redresser les comptes publics, de retrouver une nation unie. Au fond, il préconise un big bang politique et administratif en débureaucratisant notre société, en la décentralisant véritablement, en simplifiant tous les rouages administratifs, en « laissant faire » ceux qui, au plus près, peuvent agir.
Et la Corse ?
Dans les discussions sur l’autonomie de l’île, l’ouvrage de Jacques Chevallier peut nourrir la réflexion de ceux qui défendent cette idée. Au-delà des idéologies, elle prend une dimension différente à la lumière de l’analyse de cette crise de l’État que connaît ou subit notre pays.
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