La voyoucratie sera-t-elle circonscrite ?

La Corse à la croisée des chemins

Jamais sans doute l’île ne fut cernée comme actuellement par l’empire du milieu. Elle se trouve sur un chemin de crête, risquant de basculer. L’État de droit doit essentiellement être assuré par la puissance publique car il figure au cœur de sa prérogative essentielle. La parole, contrairement à la doxa ambiante, ne s’est pas libérée mais structurée. Des associations se veulent légitimes lanceurs d’alerte. Mais sauf à se gargariser de mots, le remède pérenne implique une action dans la durée et sans rodomontades de ceux qui ont en charge de la protection des personnes et des biens.

Par Jean Poletti

Le nombre de manifestants derrière la banderole « Assassini, maffiosi fora » fut sans doute en deçà des prévisions escomptées. Il n’empêche, selon un slogan cher aux soixante-huitards « ce n’est qu’un début poursuivons le combat », ce rassemblement fut en incidence l’expression d’un ras le bol citoyen. Partagé par les présents et ceux qui n’y étaient pas. Aussi, convient-il de s’interroger au-delà des vaines polémiques sur les raisons des absents. La crainte ? assurément. Mais pas uniquement, tant s’en faut, celle inhérente à se montrer physiquement à l’œil des caméras. Nombreux jugeaient de manière consciente ou instinctive que ce rendez-vous ajaccien renvoyait à une responsabilité générale dans la dérive mortifère que subit l’île. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », disait Albert Camus. En l’occurrence comparaison n’est pas raison. Mais l’inconscient collectif a toujours en mémoire la grande manifestation qui rassembla le même jour à Bastia et dans la cité impériale quelque quarante mille personnes pour clamer leur condamnation du guet-apens mortel dans lequel tomba le préfet. Son successeur Bernard Bonnet, qualifié d’homme qu’il faut là où il faut par Jean-Pierre Chevènement alors ministre de l’Intérieur, exerça une sorte de potentat alliant arrestations arbitraires, gardes à vue pléthoriques. Il avait à sa disposition une sorte de garde prétorienne spécialement constituée et lui obéissant au doigt et à l’œil. Ne rechignant pas en point d’orgue à incendier des paillotes. Ce qui provoqua naturellement la chute de celui que l’on nommait le proconsul et suscita d’intenses remous au sommet du pouvoir.

Espoirs souvent déçus

D’aucuns se remémorent par ailleurs la spectaculaire opération de gendarmes d’élite occupant littéralement le village de Cuttoli pour arrêter Jean Biancucci, libéré peu après sans qu’aucune charge ne soit retenue à son encontre. Une action, parmi d’autres, outrageusement filmée par des envoyés spéciaux cordialement invités et qui firent le déplacement dans l’avion du magistrat. Le Provençal-Corse avait alors titré « Le cinéma du juge Bruguière » en résonance avec cet injuste spectacle. Conférant au code de procédure pénale le rôle de l’Arlésienne.

Voilà sans nul doute période qui contribua à distendre les liens entre l’île et le pouvoir qui s’étaient à l’évidence quelque peu resserrés lors de l’imposant hommage à Claude Érignac. « Tout ça pour ça ». Tel était le sentiment lapidaire largement partagé dans l’opinion publique. Elle vouant aux gémonies cette riposte aveugle et fréquemment exagérée, alors qu’elle avait indiqué, en saluant la mémoire du représentant de la République, qu’elle flétrissait la violence. Et aspirait à une salutaire réaction étatique, mais pas à cette parodie qui foulait aux pieds le symbole du glaive et de la balance qui est l’honneur de la vraie justice.

La crainte de l’arbitraire

Est-ce cette inquiétude d’une plausible résurgence de ces pratiques s’apparentant à l’arbitraire qui relativise l’implication citoyenne ? Le penser n’est sans doute pas vue de l’esprit. Car sauf à rayer d’un trait de plume les ressorts psychologiques, il convient d’admettre qu’hier conditionne puissamment le présent et sculpte les réactions populaires.

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