La deuxième quinzaine d’octobre 2024 a vu de nombreuses commémorations de l’assassinat de deux professeurs : l’un d’histoire à Conflans-Sainte-Honorine, le 16 octobre 2020, Samuel Paty, le second de lettres, Dominique Bernard, le 13 octobre 2023, à Arras. Le collège de Conflans a pris le nom de son professeur assassiné lors d’une des dernières réunions du Conseil Départemental des Yvelines à la suite de plusieurs autres collèges de France.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Tout cela est légitime et nécessaire. Pourtant, contrairement à ce qu’on pouvait espérer, ces décisions ne sont pas toujours allées de soi et plus particulièrement à Conflans-Sainte-Honorine. Les associations de parents d’élèves du collège, hier du Bois-d’Aulne, dorénavant Samuel-Paty, ont émis des contestations non par sur le fond, prétendent-ils, mais sur la forme : ils auraient souhaité une consultation de tous les parents et estiment que le souvenir de ce tragique événement blesse les élèves même si une seule cohorte l’a vécu. Ce n’est parce qu’on comprend que de tels évènements sont très durs à vivre et à rappeler, qu’il faille oublier la tragédie. La mémoire est souvent douloureuse, l’amnésie est coupable.
Derrière ces contestations se cache le non-dit de la peur. Il faut l’accepter. Mais, comme le dit le proverbe, « la peur n’évite pas le danger ». Trop écouter sa propre peur peut conduire subrepticement à la lâcheté. On en est arrivé à ces tragédies parce qu’on a minimisé voire passé sous silence bon nombre de vraies atteintes à la laïcité depuis l’affaire du voile de 1989 à Creil. Le principal avait interdit l’entrée du collège Gabriel-Havez à deux élèves, Fatima et Samira, tant qu’elles portaient le voile islamique. Le ministre de l’Éducation, Lionel Jospin, avait hésité et finalement consulté le Conseil d’État qui prit une décision tout aussi hésitante qui n’interdit pas la manifestation d’une conviction religieuse dans l’espace scolaire mais le port de signes religieux « ostentatoires et revendicatifs ».
Renoncements successifs
Un tel flou faisait alors peser toute la responsabilité sur l’appréciation des chefs d’établissement et ne réglait en rien la question. Il fallut attendre la loi du 15 mars 2004 sous la présidence de Jacques Chirac et sur proposition de Luc Ferry pour interdire tout signe religieux « ostensibles » dans l’espace scolaire. « Ostensible » signifie fait pour être vu, « ostentatoire » veut dire excessivement visible. Ce voile est bien fait pour cacher la féminité. Il marque une volonté de domination sur les femmes. Cette décision mit donc quinze ans à être prise : la laïcité n’a donc été jusque-là que mollement défendue par les gouvernements et les acteurs publics successifs.
Ce délai est bien celui de la peur paralysante, de la peur de déplaire, mais aussi de la pure peur qui empêche de décider. L’accumulation de ces peurs, de ces hésitations a fait perdre à beaucoup l’exigence républicaine de laïcité. Une grande partie de la jeunesse ne comprend plus l’idéal laïc voire le refuse comme une atteinte à la liberté religieuse. L’abandon de la volonté laïque a ainsi autorisé tous les communautarismes et le laisser-faire a conduit aux tragédies qu’on a connues et qu’on risque de connaître encore.
Principe de liberté
Si Gabriel Attal avait raison d’insister sur l’interdiction de l’abaya, il n’aurait pas dû avoir besoin d’une nouvelle circulaire et d’une communication puissante, d’autres diraient tonitruante, il lui aurait suffi de rappeler la Loi Ferry. Ce cas illustre bien la situation d’affaiblissement laïc : si l’abaya est bien une robe d’origine bédouine, elle est devenue islamique dans la péninsule arabique.
À force de renoncements successifs, de cécité volontaire, on a accepté le moindre prétexte culturel pour mettre à mal la laïcité, là où elle s’impose le plus : l’École. Il est urgent de rappeler que la laïcité est le principe de liberté de croire ou de ne pas croire, du respect des croyances de chacun pourvu qu’elles ne soient pas ostentatoires, c’est-à-dire ne cherchent pas à prévaloir sur les lois de la République.
Au nom de la raison
Il en va de la liberté d’enseigner certes, mais aussi de la liberté en elle-même : liberté nécessaire pour l’émancipation de chaque citoyen que l’École rend capable de décider par et pour lui-même en dehors de toute assignation sociale et de toute pression politique ou religieuse grâce à l’exercice d’un jugement éclairé par la raison.
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