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Il fut un temps où la séduction se jouait au hasard d’une rencontre dans un café, à l’occasion d’une réunion de travail ou d’un dîner entre amis. Aujourd’hui, elle est rythmée par les notifications, les likes et les DM savamment envoyés. Si le flirt a toujours évolué avec la société, l’avènement des réseaux sociaux et des applications de rencontres a bouleversé la manière dont on aborde la séduction. En 2025, elle repose sur des stratégies subtiles, des algorithmes bien pensés et une maîtrise parfaite de la communication digitale. En clair, le code a changé.
Par Caroline Ettori
Le code a changé est d’ailleurs le titre d’un essai signé Aurélie Jean et paru en octobre 2024 aux Éditions de l’Observatoire. Dans cet ouvrage, l’experte en science numérique décrypte comment les algorithmes se sont invités dans nos vies amoureuses et sexuelles. Des applications de rencontres aux objets connectés, en passant par la pornographie à la demande, les réseaux sociaux et les messageries instantanées, ils influencent désormais, et bien plus que nous le soupçonnons, nos perceptions, nos comportements et notre quête de l’amour.
Séduction ou stratégie : même combat
Raison de plus, dans ces conditions, de soigner son « profil » en ligne. Sur les applications comme Tinder, Hinge ou Bumble ou sur les réseaux sociaux, les descriptions ne peuvent plus se limiter à un simple « J’aime les voyages et les sushis. » La biographie doit désormais donner un aperçu de sa personnalité et de faciliter l’ouverture d’une conversation.
À ce propos, il n’est plus question d’arriver frontalement avec un message du type « Salut, tu vas bien ? » Aujourd’hui, la première étape consiste à s’insinuer progressivement dans l’univers digital de l’autre. Nous en revenons donc à la maîtrise des algorithmes. En interagissant régulièrement avec le contenu de son crush au travers de likes, partages, visionnage de stories, on maximise ses chances d’apparaître en priorité dans son feed, favorisant ainsi les opportunités d’interaction.
Toutefois la subtilité reste de mise : on ne like pas toutes les photos et encore moins celles postées avant la prise de contact et on évite de regarder la story 10 secondes après sa publication.
De la même manière, oui, tout le monde comprend quand une de vos stories est destinée à une personne en particulier y compris cette personne. Un contenu léger, intriguant, humoristique d’accord mais sans en abuser. Il ne s’agirait pas de paraître désespéré ou de brusquer l’autre.
Si le doute persiste sur un message, une réponse ou une réaction, la séduction peut être participative. Le principe d’entraide est le même qu’avec son groupe d’amis, la seule différence est que le SOS est envoyé sur Reddit, Twitter ou encore TikTok. Évidemment, les conseilleurs ne sont pas les payeurs alors prudence ! L’équilibre se trouve souvent entre anticipation et spontanéité. Certaines applications permettent d’ailleurs d’analyser le rythme des conversations pour ajuster ses propres réponses et optimiser le jeu de la séduction.
Des boomers à la génération Z
Si vous n’êtes pas encore fatigué ou effrayé par cet univers parallèle, cela signifie que vous êtes prêts à franchir le pas. Quel que soit votre âge.
Contrairement à l’idée reçue selon laquelle les applications de rencontre sont principalement utilisées par les jeunes, les données montrent une adoption plus large par toutes les générations. Selon une étude de Statista, en France, plus de la moitié des hommes âgés de 30 à 39 ans ont déclaré avoir utilisé un site ou une application de rencontre, contre 36% des femmes du même âge. Les seniors commencent à intégrer ces technologies dans leur quotidien pour trouver l’amour ou de la compagnie grâce à des plateformes dédiées aux plus de 50 ans. Enfin, alors que les 18-35 ans sont surreprésentés sur ces sites, une tendance inverse émerge au sein de la génération Z, née entre le milieu des années 1990 et 2010, qui se détourne des applications de rencontre au profit d’interactions en personne. Au Royaume-Uni, selon The Guardian, les principales applications de rencontre ont enregistré une baisse du nombre d’utilisateurs depuis 2023, avec une diminution notable chez les jeunes adultes.
Si les chiffres par région ne sont pas disponibles auprès des éditeurs de ces différentes plateformes, la Corse ne paraît pas hermétique à ces nouveaux modes de « consommation » de la drague. D’ailleurs, les abonnés Tinder peuvent même converser en langue corse s’ils le souhaitent. L’application propose cette fonctionnalité depuis 2023. On ne sait pas si la linguistique motive les utilisateurs mais l’idée de rompre l’isolement sûrement. Selon la Fondation de France, en 2023, près de 20% des adultes déclaraient souffrir de solitude. En ville ou dans le rural, la promesse de connexion grâce au numérique perdure.
Faux sentiments, vraie solitude
Des rencontres improbables, surprenantes, souvent plaisantes, les fameux algorithmes seront passés par là pour rapprocher les profils selon les critères recherchés. C’est le match quasi assuré. Pourtant si les outils de communication digitale permettent de rencontrer des partenaires potentiels plus facilement, ils ne garantissent pas une connexion émotionnelle profonde. La logique de consommation, la facilité de disparaître, ghoster, aussi facilement que le contact a été établi, les réseaux sociaux et leur flopée de couple goals bancals participent inévitablement à cette insécurité affective.
La solitude moderne, ce nouveau mal du siècle rapportera gros dans les prochaines années. Les spécialistes évaluent le marché à plusieurs milliards de dollars d’ici à 2030. Les développeurs et ingénieurs en tout genre sont lancés dans une course effrénée aux compagnons virtuels, une intelligence artificielle conçue pour interagir de manière personnalisée avec son utilisateur. Une technologie qui peut tout à fait être implantée dans un robot humanoïde. C’est le cas d’Aria, un robot de compagnie développé par Realbotix et présenté au CES 2025. Aria se décline en trois versions : le buste, tête et cou compris est affiché à 10 000 dollars ; une version modulaire est disponible pour 150 000 dollars ; le modèle complet avec une base roulante, parce que la démarche humaine n’est pas encore au point, est proposée à 175 000 dollars. Si vous n’avez pas les moyens de vous offrir Aria ou son pendant masculin, des abonnements moins onéreux vous permettront de recevoir des appels et messages affectueux chaque jour. Précision importante, aucun être humain ne sera à l’autre bout du fil ou de l’écran. Il est certain que dans ce contexte la complexité, les disputes, les malentendus disparaissent tout comme la chaleur humaine.
Retour dans la vraie vie avec des vrais gens. Dans un monde hyperconnecté, où il est plus facile que jamais d’interagir avec d’autres, la solitude et l’isolement affectif montent en flèche. Pourtant, tout n’est pas perdu comme le rappelle Aurélie Jean dans son ouvrage : « les bouleversements induits par cette “algorithmisation” des sentiments et de la sexualité peuvent être compris et en les comprenant, nous pouvons nous réapproprier nos relations derrière les écrans et les filtres, la clé reste toujours la même : créer une vraie connexion humaine. »
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