À Corbara, dans son petit musée privé, il lève le voile sur les siècles passés à travers une multitude d’objets et de documents aussi anciens que rares, mais aussi de témoignages très émouvants. Il y met aussi ses talents de conteur et de musicien. Une expérience hors du temps. Entrée libre pour tous !
Par Véronique Emmanuelli
« Le collectionneur est atteint d’une véritable maladie. Toute son existence, il cherchera la guérison », répète volontiers Guy Savelli, Selon lui la pathologie pourrait avoir, en plus, une dimension atavique. « C’est dans les gènes. Mon père était déjà collectionneur, mais à un niveau moindre », confie-t-il. Et, une fois le diagnostic posé, le remède consisterait à accumuler des séries d’objets.
Confirmation dans son petit musée privé auquel il a consacré différentes pièces de sa maison au cœur de Corbara en Balagne. Là, tous les styles et toutes les époques coexistent tandis que sont alignés à touche-touche, entre autres, médailles, stylets fabriqués à Pietralba et Orezza, œuvres d’art, cartes de géographie, éditions aussi rares qu’anciennes, manuscrits, photos, mobilier, instruments de musique, ou encore épées.
Dans ce périmètre qui offre un aperçu original de l’histoire de l’île et au-delà, de nouvelles trouvailles incarnent depuis quelques mois, l’esprit d’autrefois. Comme à son habitude, Guy Savelli a rassemblé des éléments disparates. Rien n’est formaté dans sa démarche de collectionneur compulsif, et surtout curieux de tout. Et puis, il ne cesse de démontrer qu’il a du flair en dénichant toujours des pièces d’exception. La preuve. « Je présente, dans un sous-verre, un exemplaire rarissime de A Tramuntanella fresca e zitella, un journal créé par Santu Casanova. Le premier numéro est paru en 1889. Quelques années plus tard, en 1896, A Tramuntanelladeviendra à Tramuntana fresca e sana », explique-t-il.
Automate
La Fronde, premier journal féminin et féministe au monde, compte désormais aussi parmi les pièces maîtresses de sa collection. « Ce journal était entièrement conçu et dirigé par des femmes. Il a vu le jour en 1897, à l’initiative de Marguerite Durand », précise-t-il. Dans le musée de Corbara, la dame, plus à son aise avec l’actualité de son temps qu’avec les fourneaux, prête à toutes les audaces, affirme encore sa présence à travers une photo, puis « une lettre autographe et son enveloppe timbrée. L’écriture est très régulière, très belle aussi, assure Guy Savelli. Le courrier, daté du 28 décembre 1897, est adressé à Judith Cladel, la fille du grand romancier Léon Cladel », détaille-t-il.
Récemment, une autre pépite, sans doute aussi le jouet favori d’une petite fille de jadis, est aussi venu enrichir et enchanter son fonds. « On m’a offert une poupée automate avec ses vêtements d’origine. Elle date du xixesiècle. Elle a été confectionnée par Léopold Lambert. Il l’a signée. Elle est en parfait état de fonctionnement »,raconte-t-il avec enthousiasme.
Depuis près de deux siècles, inlassablement, la poupée tient dans sa main gauche un petit Polichinelle qu’elle agite. De la main droite, elle porte à l’oreille sa montre à gousset. Comme un moment de grâce, délicatement poétique aussi, entre fantaisie et merveilleux. « On m’a recommandé de la faire marcher régulièrement, afin que le mécanisme ne se grippe pas. Aujourd’hui, on ne trouve plus d’horloger pour réparer ce type de modèle », déplore-t-il.
Dans le petit musée ressurgit encore tout un pan de la mémoire de L’Île-Rousse. Le mouvement épouse les 400 pages du registre d’inventaire de l’hôtel Napoléon-Bonaparte. Il ramène à Sébastien Piccioni, maire de la cité paoline de 1840 à 1848 puis de 1855 à 1871. Avant de concrétiser ses ambitions politiques, celui-ci se lance dans des projets architecturaux ambitieux.
Capazza
« Il a fait bâtir le château qui à partir de 1830 sera transformé en hôtel Napoléon-Bonaparte. Dans le livre qui est en ma possession, chaque objet, même le plus infime, de l’établissement est répertorié. Tout est mentionné, les chambres de style Louis XV par exemple ou autre, les meubles, la vaisselle. Cet état des lieux a été dressé en 1937. Je l’ai associé à une belle lettre écrite par Sébastien Piccioni, quelques décennies plus tôt en 1864 », ajoute-t-il.
La suite du parcours évoque des retrouvailles symboliques. « J’ai retrouvé une photo originale de Pierre Truchon, le mari d’Isabelle Andreani, mezzo soprano, interprète, entre autres, en 1959 de Carmen. Je l’ai placée à côté de son épouse », indique-t-il.
En parallèle, le petit musée privé a construit son identité sur des fondamentaux, comme cette paire de lunettes, cette montre, ou encore ce journal de bord et cet altimètre qui rendent compte des exploits de Louis Capazza.
Le 14 novembre 1886, au petit matin, l’aéronaute originaire de Bastia en compagnie d’Alphonse Fondère quittent Marseille à bord du Gabizos. Cinq heures et demie plus tard, le ballon dirigeable se pose, non sans encombres, au col de San Bastiano sur la commune d’Appietto, à quelques kilomètres d’Ajaccio. Il pleut ce jour-là. On le distingue très bien sur « la photo de l’arrivée » qui figure dans la collection de Guy Savelli. Capazza avait pris soin d’immortaliser son entrée dans l’histoire de l’aéronautique. Il s’en ira ensuite voler vers d’autres cieux et au-dessus d’autres mers.
Une partie de la correspondance de Sully Prudhomme, d’Alphonse Daudet, d’Hector Malot, d’Edmond Goncourt, d’Henri de Régnier et bien d’autres romanciers et artistes de renom du xixe siècle, a trouvé son écrin à Corbara également. Les lettres ont été écrites durant la seconde partie du xixe siècle. Elles évoquent des parutions récentes, des projets de voyage, des bisbilles avec les critiques littéraires, de petits tracas familiaux, à moins que l’on s’épanche sur l’un ou sur l’autre, ou que l’on donne libre cours à son vague à l’âme. Les sujets abordés sont vastes et les préoccupations des épistoliers sont variées. En revanche, toutes ou presque convergent vers Léon Cladel, l’auteur de roman et de nouvelles très en vogue.
Trésors
Chez Guy Savelli, on regarde en arrière encore, du côté de Tito Franceschini-Pietri, tout à la fois petit-neveu de Pasquale Paoli, secrétaire particulier de Napoléon III, puis exécuteur testamentaire du Prince Impérial, et de l’impératrice Eugénie. L’air du temps passé est alors exprimé à travers des courriers ou un éventail en nacre et en dentelles de Chantilly. L’épouse de Napoléon III privilégiait les accessoires de mode raffinés.
Le lieu, dans ses coins et recoins, réunit également un Ragguagli de Paoli de 1766, un discours écrit en hommage au général Jean-Pierre Gaffory, chef suprême des Corses de 1704 à 1753, une procuration rédigée par un soldat de Corbara en garnison à Gênes, des documents en lien avec le siège de Paris de 1870, un mezzo scudo à l’effigie de Théodore de Neuhoff, l’éphémère roi de Corse. La pièce en argent a été frappée en Tavagna et découpée à la cisaille. Elle fait partie des dix seuls exemplaires au monde.
Un petit trésor, parmi bien d’autres en somme. « Il y a 50 000 choses chez moi, une seule visite ne suffit pas. Il faut revenir plusieurs fois », recommande Guy Savelli. Son attention se polarise sur les ventes aux enchères, sur les petites annonces y compris en ligne.
Parfois, le hasard fait bien les choses. « Par exemple, c’est en visitant les combles de l’hôtel Napoléon, lors du rachat de celui-ci, que je suis tombé sur le registre d’inventaire », se souvient-il. Il peut compter aussi sur de généreux donateurs. « Les gens me confient de nombreux objets et documents. »
Pour certains, c’est la visite du musée qui a créé le déclic. « Sans doute parce qu’ils se rendent compte que je fais un travail sérieux. Chaque objet est associé à une notice sur laquelle, je fais figurer le nom du donateur. »
Distinction
Dans le musée tel qu’il l’a pensé et organisé, Guy Savelli a mis beaucoup de ses émotions et de son plaisir personnel, « à accumuler des objets, les montrer au plus grand nombre, les raconter c’est-à-dire les faire vivre. Ce musée, c’est toute ma vie ». En musicien virtuose qu’il est, il estime encore qu’il fait bon de conclure chaque visite par une petite aubade. Une trajectoire intense et hors norme qui recueille tous les suffrages des visiteurs. En 2018, dans le palmarès établi par TripAdvisor, la plateforme de voyage de renom international, le musée devient 1er musée de Corse sur un total de 28. Certains internautes après être passés par Corbara soutiennent aussi que Guy Savelli est « un personnage unique au monde ».
Ouvert d’avril à octobre de 15h00 à 18h00. En juillet et août de 16h00 à 19h00. Entrée libre.
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