L’autonomie ne doit pas être un cache-misère
Les négociations entre le gouvernement et la représentation insulaire seront-elles couronnées de succès ? L’offre précipitée du ministre de l’Intérieur permettra-t-elle la résolution pérenne du dossier Corse ? Le cycle des rencontres, reprogrammé à cause des événements que l’on sait, met en exergue l’autonomie. Mais les nombreux maux dont souffre l’île ne devraient pas se limiter à cette plausible avancée institutionnelle.
Par Jean Poletti
Au cycle de violences qui embrasa l’île répondit comme en écho l’initiative de Gérald Darmanin d’ouvrir un espace de dialogue à ciel ouvert et sans tabous. L’hôte de la place Beauvau n’avait d’évidence pas agi sans l’accord préalable de l’Élysée. Aveu de faiblesse pour certains. Volonté pour d’autres de purger enfin une attitude proche du dédain qui habilla la mandature présidentielle. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, semblent dire les adeptes de la réforme. Mais en fin politique aux convictions bien trempées, le chef de file Gilles Simeoni sait que le cycle des négociations ne ressemblera pas à une sinécure. Certes, Paris jure de sa bonne foi. Bien sûr, les concepts de particularisme et autres spécificités figurent dans les propos liminaires. Toutefois, rien n’indique qu’entre grands principes et épilogue consensuel la frontière soit aisément franchissable.
L’histoire contemporaine montre à l’évidence que les occasions manquées jalonnent de dialogues de sourds un sinueux parcours.
Bannissons l’euphémisme. Ce cahier des doléances met en exergue la requête d’une autonomie. Elle écrase, par sa force symbolique et le poids des forces progressistes, les facettes diverses et variées d’un malaise qui cloue une majorité de la population au pilori. Avec ce paradoxe d’une éloquente dualité. La région la plus pauvre de France est aussi celle où la vie est la plus chère !
Archipels douloureux
Une situation qui génèrent dans une implacable logique des effets dévastateurs. Ils sont connus et peuvent se résumer d’un chiffre dramatique sans cesse recommencé : une personne sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Coup prohibitif de l’immobilier, chômage endémique, complètent ce triste tableau. Il reflète à grands traits cette archipélisation qui fracture le rural et la ville. Et au sein de celle-ci une cassure brutale entre les quartiers du centre et ceux de la périphérie.
Ces amers fruits de la paupérisation, se propageant à bas bruit, impliquent sans conteste des solutions radicales. En contrepoint, elle alimente un bruit de fond laissant entendre qu’un nouveau statut ne serait pas à lui seul le remède miracle. Empruntant la formule populaire certains répètent à l’envi qu’il ne remplira pas l’assiette.
Pierre Joxe, auteur de la seconde étape décentralisatrice, en était d’ailleurs pleinement conscient. Il savait pertinemment que l’aspect institutionnel, pour important qu’il fut, devait s’accompagner nécessairement de mesures économiques et sociales afin de résorber ce que l’époque nomma retard historique. Son credo ? L’homme ne vit pas que de pain, mais il lui en faut.
La grande explication
Dès lors sans préjuger de l’épilogue de ces rencontres au sommet. En évitant de focaliser sur la physionomie qu’elles auront. Un postulat s’impose d’emblée. Les représentants de la Corse devront parler d’une seule et unique voix. Qu’il s’agisse d’une réplique des fameux lundis de Matignon ou que l’aréopage soit plus réduit ne change rien ou presque à la finalité. Ferrailler sur le statut de résident ou la langue ne sera certes pas accessoire. Argumenter sur l’autonomie s’avèrera crucial. Mais en corollaire il ne faudrait pas que le social, les prix, la pauvreté et une nouvelle organisation sociétale, soient les parents pauvres. Et in fine les oubliés des échanges qui mettraient sur un piédestal la seule vision institutionnelle. Toutes les problématiques doivent s’insérer dans le même canevas. Si d’aventure l’une était suzeraine et les autres vassales, ou simples variables d’ajustement, un arrière-goût d’inachevé planerait sur une grande majorité des habitants.
La Corse doit sans fard ni complaisance se regarder avec lucidité. Rejetant le catastrophisme et l’optimisme béat, elle doit impérativement établir son diagnostic, seul moyen d’envisager une thérapie efficace. Les signes sont patents. Frappée de plein fouet par l’indigence, clouée au pilori par une activité atone, meurtrie par une jeunesse en quête de repères et lisibilité et refusant de s’inscrire dans ce « No future » émanant d’Outre-Atlantique. Blessée par ces retraités devenus nouveaux pauvres. Outrée en observant tant de jeune couples interdits d’accès à la propriété. Telle est la réalité.
Éclaircie salutaire
Trop souvent mise sous l’éteignoir, comme on cache la poussière sous le tapis, notre île dut à de rares exceptions qui vérifient la règle, affronter faux-semblants, euphémisme. Incompréhension, hostilité ou condescendance.
Un rendez-vous crucial ? Le mot a été tellement utilisé qu’il est usé jusqu’à la corde. Mais si le meilleur est toujours aléatoire le pire n’est jamais sûr. Alors formons le vœu que l’éclaircie salutaire ourlera bientôt l’horizon de l’île.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.