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La néfaste litanie n’en finit pas d’égrener le quotidien d’une île. Assassinats, drogue, incendies criminels, racket, entrisme dans l’économie, se conjuguent pour clouer une île au pilori. Ces faits divers se sont métamorphosés en fait de société. Connaissant même une virulente accélération. Ne pas demeurer témoins passifs, telle est la volonté des élus régionaux en résonance avec des associations et la société civile. Ces initiatives pour nécessaires et salutaires qu’elles soient seront-elles suffisantes ?
Par Jean Poletti
Le crime d’Ajaccio, la veille de Noël tétanisa l’île. Il est un symbole sanglant d’une dérive mortifère qui jalonne depuis trop longtemps une communauté, suscitant un sentiment de révolte teinté de crainte diffuse. Aux homicides, parfois reflets de raisons futiles, se greffent les destructions d’outils de travail, le feu destructeur d’engins de chantiers. Cette atteinte flagrante aux biens et aux personnes impose un climat mafieux que nul désormais, à moins d’être frappé d’indifférence coupable, ne peut faire mine d’ignorer.
La formation Femu a Corsica lança récemment un pressant appel à la classe politique et à la société tout entière afin qu’elles se saisissent de ce problème qui gangrène et s’étend à bas bruit. Et qui occulte un avenir collectif. Comme en écho l’Assemblée de Corse tiendra à la fin du mois une deuxième session extraordinaire, similaire à celle qui se déroula voilà trois ans. Il s’agira encore et toujours pour les édiles non seulement de débattre mais aussi et surtout cette fois d’être des lanceurs d’alerte, tout en optimisant les mesures de vigilance dans les domaines de sa compétence.
La tonalité fut donnée par Gilles Simeoni lors de la traditionnelle présentation des vœux. « Nous ferons des propositions précises », martela-t-il non sans avoir souligné que de telles initiatives, exception faite de la Sicile, sont uniques en Europe et ne reçoivent pas le concours de la puissance publique.
Ce ne sera sans doute pas le cas cette fois, puisque le préfet sera présent dans l’hémicycle pour dire et souligner que le pouvoir régalien dont il est ici le représentant amplifiera son action. D’ailleurs Jérôme Filippini ne mâcha pas ses mots lors de la dense manifestation de soutien au lendemain de la destruction par les flammes criminelles du camping de Zonza, propriété du maire de la commune. Une dialectique sans euphémisme à l’adresse de « ceux qui pensent utiliser la violence pour faire prévaloir leurs intérêts personnels, idéologiques ou matériels ». Dans son propos « pratiques mafieuses », « serment de Zonza » et un « basta cusi » furent le point d’orgue d’une intervention scellée dans le volontarisme. Il évoqua sans fioritures les maux qui terrassent insidieusement une île, percluse par les dérives, sur lesquelles se repend partout la drogue, ses dealers et ses multiples points de vente à ciel ouvert. Qui osera affirmer que maints règlements de comptes ne sont pas en lien, direct ou diffus, avec le contrôle d’un trafic lucratif qui empoisonne la jeunesse ? Ou comme nous le vîmes à Lupinu l’exaspération des riverains. Tandis qu’aux Cannes dans la cité impériale des revendeurs de shit et autres substances interdirent purement et simplement des employés communaux de venir travailler dans ce qu’ils considéraient comme leur quartier !
Collectifs fers de lance
Tourner la page. En écrire une nouvelle plus sereine. Voilà réactions qui mirent du baume au cœur du collectif a Maffia no, a vità iè médiatisé à maints égards par Léo Battesti, ou celui de Massimu Susini et son porte-parole Jean-Toussaint Plasenzotti. Ce dernier se félicite d’une prise de conscience venue du peuple et qui touche désormais élus et État. Une conjonction de volontés qui lui font dire sans verser dans l’utopie que « c’est peut-être le début de la fin pour la Mafia. »
Ce mot, trop longtemps sujet de palabres sémantiques, refusé par certains préférant le terme de banditisme n’est finalement que querelle d’Allemand. Car la réalité a un visage qui transcende les qualificatifs, et ici comme en Italie, dans les Bouches du Rhône et en maints points du continent, les mets sous un boisseau d’où ils n’auraient jamais dû émerger.
Pour autant, ces exactions diverses et variées ne sont pas récentes. Voilà bien longtemps que certains chez nous avertissent des dangers inhérents aux méfaits illustrés à l’époque par le slogan « vivre et braquer au pays ».
Faut-il rappeler l’initiative de Vincent Carlotti qui initia une séance au Conseil général de Haute-Corse sur une telle préoccupation ? La finalité ne fut nullement à la hauteur des attentes, se soldant par une motion quelque peu insipide contre la violence.
Doit-on se remémorer du rapport de la mission parlementaire présidée par Jean Glavany ? Six cents pages sous le thème « La Corse a droit à l’État de droit » sans complaisance avec la voyoucratie, le laxisme ambiant et une extrême sévérité à l’égard de l’action ambivalente des pouvoirs publics.
Est-il opportun de redire les tentatives de Jean-Paul de Rocca Serra et Dominique Bucchini, présidents successifs de la collectivité territoriale organisant des commissions ? Rien ne changea fondamentalement. Avocats assassinés ou blessés dans des guet-apens. Tombés sous les balles, les maires de Pila-Canale, Soveria, Letia et Grosseto-Prugna où deux édiles dont une femme succombèrent. Tout comme des présidents de Chambres d’agriculture ou de commerce. Et des hauts fonctionnaires dont un directeur général des services, sans oublier le sous- préfet Pierre-Jean Massimi.
Milieu recomposé
Triste énumération loin d’être exhaustive, et qui à l’exception de Claude Érignac, s’insère dans le funeste et long cortège de crimes non élucidés. Ils font partie comme il se dit au sujet de Cosa Nostra de « cadavres exquis » laissant la justice impuissante. Incapable de donner un début de commencement aux enquêtes, classées sans suite.
D’ailleurs, comme une illustration sur ce peu de résultats probants, il suffit de se souvenir de la fameuse Brise de Mer qui trônait au sommet de l’édifice des gangs hexagonaux. Elle ne s’étiola qu’après s’être fracturée dans une guerre intestine. Tandis que celui que l’on qualifiait de « Parrain » de Corse-du-Sud se tua dans un accident de la route.
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