Le bel canto au diapason de la culture populaire
C’est en 1774 que les Bastiais découvraient leur tout premier théâtre « place de la Comédie », aujourd’hui appelée place du Marché. Trois ans après, on en construisait un autre à proximité. Un siècle plus tard, on érigeait le théâtre municipal actuel. Si à Bastia la proximité avec l’Italie, la richesse culturelle et la densité de son bassin de population contribue à développer un engouement pour le bel Canto dans la culture populaire, il n’en reste pas moins qu’à Aiacciu aussi, le goût pour l’opéra irradiera la capitale régionale.
Par Vannina Angelini-Buresi
C’est au début du xixe siècle, en 1830, qu’à Aiacciu le théâtre Saint-Gabriel ouvrira ses portes, baptisé en l’honneur du préfet Gabriel Lantivy instigateur entre autre, de cet édifice architectural. La population ajaccienne avide d’airs populaires, passionnée de chants, connue et reconnue pour ses puissantes et mélodieuses voix, participait régulièrement à la programmation culturelle de la cité.
Se déployait en Corse un véritable enthousiasme autour de la culture italienne, et pour l’opéra. Comme à Bastia, ils allaient tous écouter Bellini, Donizetti, Rossini et d’autres. Ce n’est qu’à la fin du xixe qu’en Corse, on commence à apprécier l’opéra français tel que Bizet ou Gounod. C’est Napoléon qui initiera les Français à la culture de l’opéra italien, au théâtre mais également dans les salons de la noblesse de l’Empire parisien, où l’on fait venir des ténors avec des extraits d’opéra et des romances, des harpistes et des pianistes notamment chez les sœurs de Napoléon, Élisa et Pauline.
À Bastia, après le romantisme, on découvre une autre expression, c’est l’arrivée du vérisme, influencé par le réalisme dans le chant, c’est quelque chose de plus immense très lyrique et plus exacerbé dans les émotions à la fin du xixe. Les Corses s’emparent de certains chants, l’opéra est chantonné dans la rue, ils se l’approprient, ça fait partie de leur patrimoine. L’immigration des Napolitains et des Siciliens apportent d’autres mélodies aussi. Des chants assez vocaux qui demandent une tessiture assez élargie.
Ténors et riaquistu
Dès la fin du xixe et le début xxe siècle, les opéras français commencent à attirer du monde et la Corse connaît le plus grand vivier de chanteurs lyriques. Notamment avec César Vezzani et sa compagne Agnès Borgo, Martha Angelici soprano, Isabelle Andreani mezzo soprano, Gaston Micheletti ténor ajaccien qui obtient des rôles à l’opéra comique et José Luccioni qui viendra clôturer l’âge d’or. Un coup d’arrêt se produisit, le théâtre de Bastia, véritable référence, une sorte de mini Scala, subit des dommages causés par les bombardements, quant à celui d’Aiacciu, il fut la proie les flammes. Cependant, la culture de l’opéra est toujours présente et ses airs imprégnés dans la mémoire des Corses. Après la guerre, on retrouve toujours Martha Angelici, Micheletti, Vezzani, Tibère Raffali et en même temps Tino Rossi. Il est classé dans la catégorie « Ténorino » chanteur d’opérette, archétype de la culture populaire, influencé et nourrit par les nombreux opéras qu’il a découverts au cours de son enfance et de sa jeunesse au théâtre Saint-Gabriel d’Aiacciu.
Les années 50 sont l’époque des ritournelles, des sérénades et des cabarets. Le Riacquistu dans les années 70 s’attèlera à réhabiliter le chant en « Paghjelle » dit traditionnel et celui du « Cantu Sacru », les autres genres seront délaissés un temps voire décriés comme le cabaret et le « Bel Canto ». Dans les années 80, seul Tibère Raffali fait carrière ailleurs et obtient le prix Pavarotti à New York. Il faudra attendre les années 90 pour voir percer une chanteuse lyrique bastiaise Michèle Canniccioni, une soprano qui aura une carrière internationale comme Martha Angelici, quarante ans auparavant. « Par ma volonté et mon travail, j’ai persévéré et percé. Sans connaître personne sans avoir aucun soutien, à une époque où c’était le néant à Bastia et ailleurs en Corse. »
L’atout corsophone
Michèle s’est produite au Japon, au Brésil, en Russie et à Milan bien sûr. Au début des années 2000, pour des raisons de santé, elle met fin à sa carrière mais se consacre aujourd’hui à la transmission car elle donne des cours particuliers. Ce n’est pas en France qu’elle estime que l’on fait carrière mais à l’étranger. D’ailleurs le fait d’être corsophone, « car la langue corse ouvre au portugais, à l’italien »favorise la pratique du chant. « Au niveau de l’aptitude du langage, le positionnement vocal de la voix parlée en corse est très rond comme le russe, d’ailleurs je chantais très bien en russe. »
Jean-Jacques Ottaviani, ténor bastiais, insiste lui aussi sur la maîtrise de la langue corse comme un avantage dans la pratique du chant lyrique « avec ce phrasé long que l’on a et ses fioritures, en plus de la facilité que l’on peut avoir par la richesse de la langue à avoir des harmoniques que d’autres n’ont pas en France par exemple ; Ce n’est pas anodin que dans le classement des cent ténors mondiaux du xxe siècle, il y ait quatre Corses : Vezzani, Micheletti, Luccioni et Tino Rossi. Nous avons aujourd’hui un foisonnement de chanteurs à voix, ténor, soprano, mezzo soprano, que l’on doit en partie au conservatoire Henri-Tomasi et ses deux antennes à Aiacciu et Bastia. De nombreux Corses font leurs premières armes ici et partent par la suite se perfectionner sur le continent ou à l’étranger et entament des grandes carrières comme Amélie Tatti ténor et Eléonore Pangrazi mezzo soprano ou Jean-François Marras ténor aussi qui mène une carrière à Paris et à l’étranger et encore la soprano Julia Knecht qui mène elle, une carrière ici. A leva nova marchent sur les pas de Michèle Canniccioni qui a ouvert la voix à cette nouvelle génération,certains d’entre eux reviennent régulièrement se produire sur la scène corse comme récemment au palais des Congrès d’Aiacciu. Le mois dernier pour la première édition d’« Avant-Scène » Opus Corsica, son président Xavier Torre et la concertiste directrice artistique de cette association, Laura Sibella, réunissaient de grands artistes lyriques et classiques corses et internationaux, afin qu’ils travaillent ensemble pour offrir un concert d’exception mettant en avant de jeunes talents insulaires.
Musiques en harmonie
Pour Laura, la musique classique fait partie de la culture populaire, « La musique classique présentée comme la Grande Musique, ou la musique dite savante, est souvent opposée aux musiques populaires que l’on nomme maintenant musiques traditionnelles. Elles ne sont pas plus simples que les autres ne sont sérieuses. Ce qui les différencie, mais ne les oppose pas, c’est que l’une est de tradition écrite, préservée sous la forme d’une notation musicale alors que l’autre est transmise oralement. »
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