LE BESOIN DE SYMBOLISME RÉPUBLICAIN 

Le président de la République a sans doute surpris lors de sa dernière conférence de presse en insistant sur la nécessité des rites et symboles républicains. 

Par Michel Barat, ancien recteur
de l’Académie de Corse 

On attend le recours aux symboles et aux rites dans la pratique religieuse ou mystique, là où le fidèle, l’initié cherche à s’approcher du sacré par des images, véritables icônes, et par une liturgie à l’esthétique forte. En un mot, les rites et les symboles permettent à l’adepte de vivre en résonant au rythme de ce qui pour lui est sacré et risquerait de lui échapper. À première vue, rites et symboles ne semblent pas appartenir au champ républicain laïc et pourtant la parole présidentielle portait en l’occurrence sur l’École publique et laïque, celle de Jules Ferry, celle de la Communale au Lycée comme si l’apprentissage du sacré républicain se faisait à l’École, comme si l’École était l’Église de la République, aux deux sens du mot Église: le bâtiment sacré et l’assemblée des fidèles. L’École serait donc le lieu où l’on devient citoyen, où l’on s’élève et est élevé à la dignité de citoyen. Au sens strict, il s’agit bien d’une liturgie laïque transformant l’enfant en élève puis l’élève en citoyen. Or, nos temps sont ceux de l’incroyance tant de l’incroyance religieuse que de l’incroyance républicaine. La querelle scolaire, histoire totalement française, celle des deux écoles, celle du curé et celle de l’instituteur, est l’histoire de la République française mais aussi celle de l’Église de France. La querelle n’est plus une guerre et semble aujourd’hui heureusement apaisée sur le territoire même si elle a laissé des traces plus vives dans quelques régions, par exemple en Bretagne et en Vendée où comme le rappelait un des anciens inspecteurs d’Académie le nombre d’écoles privées est plus important que celui des écoles publiques.

ICI, PAS DE DON CAMILLO ET PEPPONE
Cette querelle a réellement marqué la géographie humaine de notre pays. Ici en Corse, terre profondément catholique, l’enseignement privé catholique est bien présent, mais en importance numérique plus faible qu’ailleurs comme si les Corses avaient historiquement

un enracinement catholique, mais pensaient en revanche que l’École était l’affaire de la République de telle manière que la relation entre les deux écoles n’y est pas du tout guerrière et que l’évêque et le recteur n’y jouent pas à Don Camillo et Peppone, loin de là.

 » AU SENS STRICT DU TERME,
IL S’AGIT D’UNE LITURGIE LAÏQUE TRANSFORMANT L’ENFANT EN ÉLÈVE PUIS L’ÉLÈVE EN CITOYEN. « 

Mais même en Corse, île à la culture catholique, la croyance et la pratique religieuse s’affaiblissent comme partout en France, il en va de même pour la croyance et la pratique républicaine. Les croyants deviendraient-ils incroyants et les citoyens des individus séparés faute de ne plus apprendre ni pratiquer leurs symboles et leurs rites. En 1989 avec la fin des écoles normales, l’École a perdu ses séminaires et la République perd ses maîtres comme l’Église ses prêtres. Les leçons d’histoire de l’École communale comme le célèbre manuel d’histoire pour les classes secondaires de Malet et Isaac construisaient La légende dorée de la République avec ses héros et ses saints, ces grands hommes et femmes qui sont élevés à la sanctification laïque lors du

très républicain rituel de panthéonisation.

QUERELLES ÉLOQUENTES
Cette cérémonie d’ailleurs a donné lieu à des réveils de la querelle entre Église et République: le cardinal archevêque de Paris, Jean- Marie Lustiger, refusa de participer à la panthéonisation de Monge, Condorcet et de l’abbé Grégoire au prétexte qu’il n’était pas possible à ses yeux de transférer les cendres d’un prêtre, fût-il jureur, de sa tombe en terre chrétienne à un mausolée républicain, qui plus est, ancienne église désaffectée. Mais le culte des saints et le rite des grands hommes républicains peuvent se croiser positivement : ainsi Jeanne d’Arc fut tardivement béatifiée par Pie X le 18 avril 1909 puis canonisée par Benoît XV le 16 mai 1929, en signe de réconciliation entre l’Église et la République depuis la loi de séparation de 1905. Paradoxalement c’est la loi de séparation qui permit de faire de Jeanne d’Arc une sainte après que les Républicains en ont fait un symbole de résistance après la défaite de 1870.

NOUVEAU SOUFFLE
Mais l’histoire sainte de la République se délitant plus vite que celle de l’Église, ses rites et symboles s’effaçant, l’École qui est son Église s’affaiblit fâcheusement. C’est pourquoi, la renaissance des rites et symboles républicains s’avère nécessaire pour celle de l’École, qui elle-même relèvera la République.

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