« Mais l’Amérique… si c’est un rêve je le saurai… Je veux l’avoir et je l’aurai… » C’est ainsi que Joe Dassin reprenait la chanson « America » écrite en 1968 par Paul Simon. Ce succès mondial avait d’abord captivé les jeunes américains qui contestaient la guerre du Vietnam, dans des temps qui virent l’assassinat du président Kennedy en 1963 et celui de Martin Luther King en 1968.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Cette chanson était celle d’une Amérique rêvée que son auteur venait de parcourir avec sa compagne de l’époque Kathy Chitty. Elle fut l’hymne du démocrate Bernie Sanders pour les primaires de son parti en 2016. Elle chantait le rêve de liberté et de fraternité d’une Amérique jeune s’opposant à celle des affaires. Sanders fut battu et sa rivale, victorieuse de la primaire, Hillary Clinton, perdit les élections présidentielles face à Donald Trump. Ceux qui chantaient la chanson de Paul Simon ne surent pas si l’Amérique était un rêve mais aujourd’hui comprennent qu’elle pourrait être un cauchemar avec la deuxième élection de Donald Trump après la parenthèse rassurante de Joe Biden.
Et pourtant le nouveau président dans son discours reprenait le thème du rêve américain, de l’âge d’or. Mais il ne promettait ni justice sociale, ni défense de l’environnement. Alors que la pauvreté d’une partie de la population s’aggrave, que le pays brûle ou au contraire est noyé par des cyclones, le président Trump promet plus de puissance et de richesse aux hommes les plus riches du monde et plus de forages pétroliers car l’or d’aujourd’hui pour lui est noir et liquide.
Dès qu’il eut prêté le serment de respecter et de protéger la Constitution américaine, il s’empressa quelques heures après de la violer en signant un décret, qu’il sait inapplicable, d’abolition du droit du sol, principe constitutionnel américain. Il libère ceux qui avaient tenté de prendre de force le Capitole, après sa défaite de 2020 tout en se jurant de faire payer les partisans et les membres de la présidence Biden. Mais, il est vrai, qu’il croit et proclame avoir été sauvé d’un attentat par Dieu pour en retour sauver l’Amérique.
Symptôme d’une maladie
D’ailleurs dans un pays où la référence à Dieu dans les affaires publiques est une obligation voire une nécessité, il ne dit pas « Dieu » mais comme dans les sociétés d’antan « notre Dieu » qui n’est pas celui des autres. Nous savons où conduisent ceux qui pensent et disent que Dieu est avec eux. Sa mégalomanie menace non seulement Panama mais encore souhaite acheter le Groenland au Danemark et annexer le Canada. Cela paraît être une provocation risible, mais constitue bien une volonté impériale affichée. Il se dit défenseur des chrétiens mais demande des excuses à Mariann Budde, l’évêque épiscopalienne de la cathédrale nationale de Washington qui lui rappelait que la miséricorde, autre nom de la charité, était l’une des trois vertus théologales. Mais cet homme ne connaît pas la pitié mais que la puissance, la puissance financière.
Donald Trump est bien une caricature de l’Amérique et en même temps une caricature du néolibéralisme pour qui la croissance passe par la destruction. Les Américains ont sans doute eu un rêve qu’ils ont fait partager au monde entier, ils vivent aujourd’hui un cauchemar que le monde entier partagera. Ne nous y trompons pas, Donald Trump n’est pas un sinistre accident de l’histoire mondiale, il est le symptôme d’une maladie qui devient universelle. Cet individualisme, cette avidité du gain, ce rejet de l’autre, forme renaissante de ce qu’au sens strict on peut appeler un fascisme, est partout de retour.
Réveil de la raison
Il renaît y compris dans les vieilles démocraties libérales européennes : partout les partisans de ces politiques de la puissance financière et de l’autoritarisme gagnent du terrain. En Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas, en Autriche, ils sont au pouvoir et constituent ailleurs d’importantes forces populaires comme en Allemagne ou en France. Ils étaient tous les invités du président Trump.
Le cauchemar n’est pas qu’américain mais s’est mondialisé. Il ne peut pas être chassé par un nouveau rêve mais il ne le peut que par un réveil de la raison et par la lucidité de la réalité sinon le nouveau monde ne sera que l’ancien en pire.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.