La flambée des prix du carburant s’inscrit durablement dans les esprits. Le transport maritime et aérien est touché de plein fouet. Ainsi, l’enveloppe de la continuité territoriale accuserait un déficit oscillant autour de quarante-quatre millions d’euros. L’État rechigne à mettre la main à la poche. Et vogue la galère.
Par Jean Poletti
Touché coulé ? Sans prêter le flanc au catastrophisme, tout indique que le renouvellement de la délégation du service public ne se présente pas sur une mer calme. Tant s’en faut. Les offres des postulants examinés par l’Assemblée de Corse le mois prochain devront impérativement s’adapter à ce surcoût. À moins que le gouvernement ne fasse un chèque de compensation. Ce qui pour l’instant ne semble nullement acquis. Pis encore les diverses demandes se heurtèrent à plusieurs reprises au refus à la tonalité d’une fin de non recevoir.
Depuis des années l’attribution de cette fameuse enveloppe s’accompagne d’âpres discussions en l’île et Paris. Il est vrai qu’au fil du temps cette initiative, initiée par l’ancien préfet Jean-Étienne Riolacci, rompit les amarres initiales. Instaurée pour annihiler en grande partie le fameux handicap du bras de mer, elle avait comme principe et finalité de réduire sensiblement les tarifs des liaisons Corse-continent, en les rapprochant de ceux pratiqués par le rail dans l’Hexagone. D’où le terme éloquent de continuité territoriale. Impliquant originellement l’absence de rupture tarifaire. Modifications factuelles ou d’amplitude, regard sourcilleux des instances européennes, édulcorèrent progressivement cette initiative frappée du sceau de l’équité, pour la transformer peu ou prou en une forme d’aumône jugée indue par certains Saint-Just de circonstance, et d’exagérée pour les plus conciliants.
Le plein d’incertitudes
Loin de tout compte d’apothicaire, il semble opportun de livrer quelques chiffres pour fixer, si besoin, les esprits.
L’aide annuellement versée s’établit à cent quatre-vingt-sept millions d’euros. Elle n’a bénéficié d’aucune augmentation depuis treize ans. Un réajustement de quelque trente-deux-millions fut accordé l’an dernier. Le compte est bon ? Nullement affirme avec d’autres le président du Conseil exécutif. Il l’a dit et écrit à Gérald Darmanin. Mais pour l’instant, la missive demeure lettre morte.
Sans entrer dans le détail technique, soulignons que l’estimation évalue le manque financier lié à la compensation carburant à vingt-quatre millions d’euros, auxquels il convient d’en ajouter une vingtaine pour l’aérien.
Le fameux bord à bord implique essentiellement les liaisons entre les ports insulaires et celui de Marseille, en danger ? Nul n’affirme que l’heure n’est pas à brûler les vaisseaux. Ou de hisser le pavillon de la reddition. Toutefois l’interrogation perle dans les esprits et laisse affleurer une incompréhension certaine. Soit les revendications sont fondées, et au nom de la solidarité nationale, dont l’on nous rebat les oreilles en ces temps de négociations, elles doivent être honorées. Ou en contrepoint les demandes s’avèrent injustifiées pour les argentiers de Bercy et les instances gouvernementales et il appartient de signifier à haute et intelligible voix les raisons du refus. En excluant la politique de l’autruche. Et un silence qui s’apparente au dédain.
Vagues d’atermoiements
La Corse, comme l’a excellemment dit en son temps le député Emmanuel Arène, est « une île entourée d’eau ». Les habitants ont un vital besoin de navires et d’avions pour se rendre en terre continentale. Et que l’on sache le fret n’est pas acheminé par radeau ou goélette à voiles.
Le ministre de l’Intérieur si prompt à décliner une dialectique volontariste, peut-il admettre que la flambée du fuel et kérosène échappe à toute gestion de notre collectivité ? Qu’elle ne peut que constater un fait prégnant, légitimant son action d’en appeler à une pondération pécuniaire ?
Est-il normal que ce hiatus fasse des vagues d’atermoiements alors que Corsica Linea et La Méridionale affûtent leurs candidatures dans la perspective d’un nouveau service public concernant les six prochaines années ?
Dans cette éventualité, il a d’ores et déjà été demandé aux deux compagnies de présenter chacune trois devis différents, émanant de structures distributrices de l’or noir. L’enjeu ? Obtenir les meilleurs tarifs. Étant entendu que les éventuelles ristournes ne combleront vraisemblablement pas l’envolée des factures. Comme le dirait un marin barbu « ce n’est pas demain qu’on rasera gratis ».
Une nouvelle bataille navale se profile. En l’occurrence, nul besoin de modifier la constitution. Mais simplement de faire œuvre de lucidité chez Bruno Lemaire et son ministère de l’Économie. À moins que lui aussi ne s’en lave les mains, fut-ce à l’eau salée, laissant son ennemi intime de la place Beauvau sur un îlot de solitude.
De la coupe aux lèvres
Les dés sont jetés. Au palais Bourbon, nos députés rament, en oubliant leurs différences, pour obtenir gain de cause sur ce sujet d’une brûlante actualité. Gageons qu’ils ne s’époumoneront pas en vain.
Mais cette question, comme tant d’autres, indique qu’il y a loin de la coupe aux lèvres entre les déclarations lénifiantes d’un « Monsieur Corse » autoproclamé et sa gestion du réel.
La délégation de service public sera examinée et ponctuée par un vote vers la mi-décembre par l’Assemblée de Corse.
Nul doute que certains édiles mettront à profit ce dossier afin de fustiger la stratégie gouvernementale pour l’ensemble de son œuvre.
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