Après plus de deux mois de débats pour sortir d’une crise sans précédent, dont le dernier à Cozzano, le Président de la République n’aura pas ménagé sa peine pour tenter de sauver son quinquennat.
Par vincent de Bernardi
Cet exercice de démocratie participative d’une ampleur jusqu’à présent inégalée permettra-t-il de répondre au ras-le-bol qui s’est exprimé cet automne ?
En cherchant à savoir qui a participé aux débats et qui porte (encore) le gilet jaune, on perçoit le fossé qui s’est creusé entre une France qui veut être davantage écoutée et ce qui est devenue un groupuscule infiltré par des activistes de tous bords.
Le Cevipof s’est penché sur ce phénomène qui a conduit à tenir près de 10 000 débats, en sélectionnant un échantillon sur l’ensemble du territoire pour savoir précisément qui y avait véritablement participé. Ce sont majoritairement des hommes (55 %), âgés (60 ans en moyenne), retraités (50 %) et actifs de plus de 50 ans (34 %), plutôt diplômés (64 % déclarent détenir un diplôme de l’enseignement supérieur) et propriétaires de leur logement (75 %). C’est donc une sociologie singulière qui ne reflète en rien celle de la société française dans son ensemble et encore plus des traits des gilets jaunes et de leurs soutiens.
Si les participants aux débats ont indiqué s’en sortit plutôt bien, se disant satisfaits de leur vie, la seule chose qu’ils partagent avec les gilets jaunes c’est le sentiment du risque de déclassement.
Menacée et déboussolée
Plus de 80 % d’entre eux anticipent que leur propre situation économique et sociale va se dégrader dans les prochaines années. « Ce n’est donc pas la France des électeurs optimistes, heureux, qui avaient contribué à la victoire d’Emmanuel Macron qui s’est empressée de participer aux débats pendant deux mois. Mais ce n’est pas non plus une France défiante, conservatrice, fermée sur elle-même qui s’est mobilisée » souligne Martial Foucaud, directeur du Cevipof. « C’est bien une France plurielle qui se sent soit menacée par le contexte de crise des gilets jaunes, soit déboussolée par les choix d’action publique de l’exécutif et qui souhaite proposer des alternatives ».
Lorsque l’on cartographie les débats officiels, on observe, par ailleurs, qu’ils ont été organisés dans des territoires où la mobilisation des gilets jaunes a été la plus faible. A l’inverse, le Cevipof a observé l’organisation de « vrais débats » dans des départements où la mobilisation a été la plus forte. Il s’agit de territoires plus enclavés, précarisés, dépendants fortement de l’Etat et dépourvus de métropole : le Loiret, l’Yonne, la Picardie, le Puy-de-Dôme ou la Haute-Loire.
La différence insulaire
La Corse se distingue des autres départements même si elle peut apparaître à bien des égards dans une situation comparable. La crise des gilets jaunes n’a pas eu la même dimension que sur le continent. Peu de rassemblements et de manifestations, alors même que l’exaspération fiscale, la demande de plus de pouvoir d’achat sont, comme ailleurs, tout aussi vives. C’est probablement le rapport à l’Etat qui explique cette différence. Ce grand débat n’a pas créé un espace public supplémentaire où les gens ont eu le sentiment de « faire de la politique », c’est-à-dire de prendre la parole ou d’écouter les arguments des autres. Il n’a pas nourri le mythe démocratique qui dans l’île se construit sur mode davantage identitaire. Pour les Corses, ce grand débat national n’a pas constitué comme ailleurs une séance de rattrapage de la campagne présidentielle de 2017 à laquelle ils n’auraient pu pleinement prendre part.
Société fracturée
Sur le reste du territoire, cet exercice de démocratie tout à la fois délibérative, participative ou consultative a remis en scène le règne des passions individuelles et des intérêts sociaux. Mais il n’aura pas réussi à mobiliser des pans entiers de la société : les moins de 25 ans, les minorités visibles, les habitants des quartiers prioritaires, les chômeurs… C’est à eux que le pouvoir devra rapidement s’adresser pour ne pas segmenter une société déjà profondément fracturée.
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