Le leurre des réformes institutionnelles
Le décryptage des résultats électoraux est un exercice dans lequel la France excelle. Une armée de politologues s’attache après chaque scrutin à en tirer les enseignements les plus marquants.
Par Vincent de Bernardi
Leurs analyses nourrissent les journalistes politiques, les états-majors des partis. Mais ce matériau qui nourrit la science politique reste assez largement ignoré du grand public. Chacun selon sa spécialité décortique les comportements des électeurs, passent au tamis les résultats et en tire une radiographie très précise du pays. Ce qui est fascinant, c’est que les vainqueurs des élections, les gouvernants, semblent n’en tirer que peu de conclusions opérationnelles dans l’exercice qu’ils font du pouvoir.
Tout se passe comme si, ils ne tiraient aucune conclusion des résultats. En 2002, Jacques Chirac recueille plus de 80% des voix face à Jean-Marie Le Pen. Fort de cette victoire obtenue avec les voix de la gauche, il ne change rien de son programme, et n’ouvre aucune porte pour constituer un gouvernement d’union nationale qui aurait pu être un moyen de resouder une France profondément divisée. Vingt ans après, Emmanuel Macron n’obtient plus que 58% des voix face à Marine Le Pen.
Le pari perdu de Macron
La droite et la gauche que l’on disait « de gouvernement » sont passées sous les 5%. Emmanuel Macron qui rêvait comme Giscard de réunir deux Français sur 3 se retrouve pris en tenaille par les extrêmes et cerné par un régiment d’abstentionnistes qui se détournent de la politique. Certains ont d’ailleurs jugé que si Emmanuel Macron avait été élu en 2017 par effraction, en 2022, c’est davantage par frustration. La formule est savoureuse mais n’explique pas le fond des choses.
Dans ce contexte où les attentes en matière de fonctionnement de la démocratie sont fortes, les promesses de changements institutionnels vont bon train. C’est un grand classique. Instaurer un débat permanent, consulter à tout va par référendum d’initiative populaire, introduire une dose de proportionnelle, autant de recettes qui cachent une impuissance du politique à faire tourner correctement la machine démocratique. C’est ce qui fait dire à Dominique Reynié, directeur général de la Fondapol, qu’à force de remettre en cause les institutions, les responsables politiques fragilisent l’ensemble de l’édifice. Il illustre cette tendance au travers de la promotion du référendum dont les pouvoirs publics ne tiennent pas toujours compte des résultats. Ce fut le cas en 2005 avec le traité constitutionnel européen ou, plus récemment en 2018, avec Notre-Dame-des-Landes. Deux exemples qui alimentent un peu plus la défiance à l’égard de la classe politique.
Plaidoyer girondin
Pour lui, plus que jamais, la période est dangereuse pour remettre en question nos institutions. Car elle est marquée par la « fragilisation des organisations collectives, la déstabilisation des existences individuelles, la perte des repères ».
Au fond, ce n’est pas en bouleversant le fonctionnement démocratique que l’on soignera le mal. Il estime que le retour de la confiance passe par des gouvernants qui assument pleinement leurs responsabilités en accomplissant le mandat qui leur a été confié par les électeurs. Et ce ne sont pas les institutions qui empêchent de conduire les réformes jugées nécessaires, ce sont les gouvernants qui échouent à les conduire. Selon lui, « nos échecs viennent pour une bonne part d’un usage du pouvoir excessivement étatisé, centralisé, parisianisé, qui prétend s’occuper de tout, sans y parvenir bien sûr, ce qui ne manque pas d’accroître l’amertume des citoyens ». Et d’ajouter « qu’avant de toucher aux institutions ou d’en inventer de nouvelles, nos gouvernants devraient faire l’effort de mieux partager avec les collectivités locales les pouvoirs, les ressources fiscales et les responsabilités afférentes ».
Voilà un plaidoyer pour un nouveau girondisme fondé sur le renforcement du rôle des corps intermédiaires, syndicats, partis, élus locaux.
Onde de choc insulaire
Dominique Reynié insiste pour que l’État les aide à s’émanciper d’un système de financement qui les maintient sous contrôle, les dispense de cultiver des relations saines et franches avec le corps social, avec sa vitalité sans lesquelles le lien de représentation n’existe pas. « Il n’y a pas de confiance sans réciprocité. Les gouvernés auront à nouveau confiance dans les gouvernants quand les gouvernants accepteront de faire confiance aux gouvernés », estime-t-il.
Cette vision simple et lucide s’applique parfaitement à la Corse qui cherche depuis 40 ans, au travers d’échafaudages institutionnels plus ou moins aboutis, la voie d’une illusoire émancipation.
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