Alors que le débat sur les « fake news » agite l’opinion, bouscule la pratique journalistique, alors que les GAFAM sont montrés du doigt pour des entorses répétées à la vie privée ou pour leurs optimisations fiscales contestables, les Français, régulièrement sondés par l’institut Kantar Public sur leur confiance dans les media, font preuve d’une certaine lucidité.
Par Vincent de Bernardi
La dernière vague de cette enquête publiée par le journal La Croix apporte quelques éclairages sur notre rapport à l’information et à la recherche de vérités.
Interrogés au début de l’année 2018, les Français semblent revenir vers les media traditionnels alors même que leur audience tend à s’éroder. Ils sont 56% à faire confiance à la radio (+4% par rapport à l’année précédente), 52% à la presse écrite (+8%) et 48% à la télévision (+7%). Par ailleurs, leur confiance vis-à-vis de l’indépendance des journalistes stagne depuis quelques années autour de 30%. En 2018, ils sont 68% à juger les professionnels des media perméables aux pressions du pouvoir politique et 62% à celles de l’argent. A l’inverse alors que la consommation d’internet et des réseaux sociaux continue d’augmenter, seul un Français sur cinq (25%) juge crédibles les informations qu’il y trouve. La baisse est particulièrement nette chez les internautes. En effet, ils ne sont plus que 31% à faire confiance aux informations publiées en ligne contre 35% l’année dernière.
Un cas d’école
L’épidémie de « fake news », et l’annonce par Emmanuel Macron d’une future loi sur le sujet ont vraisemblablement renforcé la méfiance des internautes. 68% des utilisateurs de réseaux sociaux assurent faire attention à l’émetteur d’une information avant de la partager, une attention qui se renforce en fonction du niveau de diplôme et de l’âge. En cette matière, plus on est jeune et plus on est vigilant ! D’ailleurs, sur les réseaux sociaux, les Français disent accorder une plus grande confiance aux informations partagées par un site de media (38%) qu’à celles partagées par un « ami » (16%).
Cette enquête souligne logiquement l’importance de l’éducation aux media : sept Français sur dix jugent qu’il appartient à l’Education nationale de former à l’information et aux media, et près de 90% jugent qu’il est important d’apprendre aux élèves à rechercher sur internet des informations vérifiées. A n’en pas douter, la « techbacklash » (crise de défiance dans les technologies) qui secoue les géants du web tiendra lieu de merveilleux cas d’école.
Il y a fort à parier qu’ils vont désormais peiner à faire partager leurs bonnes intentions pour lutter contre les fake news. Facebook en premier, embourbé dans l’affaire « Cambridge Analytica ». Et ce n’est pas le mea culpa de son patron, reconnaissant avoir laissé échapper les données de 50 millions d’utilisateurs du site au profit d’une officine œuvrant pour la campagne de Donald Trump, qui améliorera la situation. Avec cette affaire, c’est bel et bien le lien de confiance entre les plateformes sociales de partage et les consommateurs qui est rompu. C’est aussi une bonne occasion pour les citoyens que nous sommes, d’une prise de conscience des traces numériques que nous laissons partout où nous passons. Dans un ouvrage paru récemment, intitulé « Mortelle transparence », Denis Olivennes et Mathias Chichportich soulignent que Facebook possède près de 100 données personnelles sur chacun de ses utilisateurs. Jusqu’à cette affaire, personne ou presque n’y prêtait véritablement attention.
Un humanisme bafoué
Désormais, les choses pourraient changer. Et le retour de la confiance ne passera pas forcément par davantage de transparence. Les auteurs soulignent à cet égard que la quête actuelle pour l’hyper-transparence leur est apparue comme une « menace sournoise qui pèse sur nos droits et sur notre autonomie. » Ils décrivent une sorte de « maladie auto-immune : l’homme a créé les réseaux sociaux pour se rassembler et se retrouve à menacer les idéaux des Lumières » : Plus de protection de la vie privée, une justice annihilée, un humanisme bafoué par le numérique. Sans préconiser de solutions immédiates, ils appellent les utilisateurs à se poser des règles de conduite et les acteurs à s’auto-réguler ou à s’auto-organiser.
Pour eux, les media soucieux des règles déontologiques du journalisme, attachés aux principes de l’enquête contradictoire, au respect de la vie privée et de la dignité, défenseurs du droit à l’oubli, préserveront le lien de confiance avec leurs lecteurs qui fonde leur crédibilité et leur légitimité. C’est sans doute ce qui manque aux media dits sociaux. L’enquête publiée par La Croix en témoigne avec beaucoup de clarté.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.