Paul Rognoni – Le monde en 24 images seconde
Rencontrer Paul Rognoni au sein de son cadre de travail, c’est pénétrer dans un univers de décors de cinéma ou dans un roman de Scott Fitzgerald. Ses bureaux au Cyrnos Palace, cours Grandval à Ajaccio, sont déjà une invitation à la rêverie, au temps qui passe, au poids de l’histoire. Comme si derrière la lourde porte en bois, allait apparaître Robert De Niro dans Le Dernier Nabab, d’Elia Kazan.
Propos recueillis par Anne-Catherine Mendez
A la tête de Mareterraniu, depuis presque 20 ans, il est un des producteurs et réalisateurs les plus influents de l’île, il est de ceux qui ont choisi la passion, au prix d’une certaine difficulté et malgré une carrière tracée. Il nous raconte, son métier, ses choix audacieux, son attachement à la Corse et sa volonté farouche d’accompagner des parcours créatifs inédits.
Quel est votre parcours ?
Je suis historien de formation, j’ai même commencé une thèse sur le vignoble corse que je n’ai jamais finalisée. C’est au hasard d’une de mes visites quotidiennes au centre des archives régionales, que je rencontre François Diani, qui travaille à l’époque pour l’émission « Da Qui » sur l’antenne régionale corse de France 3. Il m’embarque dans l’aventure avec lui. Dans les années 1995-1996, la chaîne en plein développement, recherche de nouvelles têtes, pour développer une grille de programmes originale. À part une formation universitaire solide, nous n’avions pas de compétences particulières dans l’audiovisuel mais nous avions des idées, l’esprit ouvert, prêt à acquérir de nouvelles compétences. Au sein de la station, il y a surtout des hommes comme André Stefanaggi ou René Sciacci, qui nous font confiance. Je réalise à l’époque quatre ou cinq documentaires par an. Cette période marque à tout jamais mon avenir professionnel. Je veux réaliser, produire mais dans un cadre moins étroit que celui de la chaîne. Je crée Mareterraniu en 1999, je prends mon envol.
Quelle est l’histoire de Mareterraniu ?
Des années 2000 à 2008, le documentaire est la marque de fabrique de l’entreprise. Nous sommes connus et reconnus pour ce type de réalisation. En 2008, avec la création de l’émission « Mezzo Voce », pour France 3 Corse ViaStella, je vais vivre l’aventure la plus palpitante de ma carrière: 10 saisons, 90 concerts live réalisés dans un décor intimiste, en compagnie d’artistes de renommée internationale. Je retrouve dans la réalisation de shows musicaux, ce qui me fait vibrer professionnellement, je suis fier de ce programme qui vit encore à travers les plateformes de diffusion, pour certains concerts, nous sommes à près du million de vues ! Je me lance également dans la production d’un téléfilm de fiction, Un autre monde, réalisé par Gabriel Aghion. Une aventure folle, tournage dans l’île de La Réunion, casting haut de gamme… Cette aventure cinématographique est décisive dans l’envie ensuite de produire des docs à l’étranger, l’Inde, l’île de Madagascar, l’Outre-mer, en particulier pour les chaînes France 0 et RFO. Les projets s’enchaînent alors en Corse et aux quatre coins du monde.
Aujourd’hui, Mareterraniu a étendu largement son activité. Nous produisons des émissions de flux, des documentaires, des fictions, des maga- zines, des concerts… Chaque activité de l’entre- prise, chaque projet de production, de réalisation, est une aventure humaine.
Comment naissent les collaborations avec les auteurs ?
La rencontre dans notre métier est le maître-mot. Quand tu évolues dans ce milieu, et depuis un certain nombre d’années, ton réseau se construit, des synergies se créent avec les auteurs, les réalisateurs. Parfois une discussion, un soir dans un dîner, peut des années plus tard donner naissance à un projet. Notre métier se rapproche plutôt de celui d’éditeur. Nous accompagnons sur le plan artistique et financier un auteur, qui a une envie et une idée auxquelles on croit. Pour la série de fiction Over la nuit, diffusée en février prochain, Viviane Zingg et Philippe Mari me transmettent un texte sur l’histoire d’une station-service. Ce texte me fait beaucoup rire. L’idée murit. La direction des programmes de France 3 Corse ViaStella est prête à se lancer dans l’aventure à condition que le pitch soit amendé. De réunions d’écriture, en échanges avec les auteurs, au choix du réalisateur, au casting naissent quelques mois plus tard, 40 épisodes de 20 mn… Au départ finalement, cela partait d’un texte qui m’a fait rire…
Parlez-nous de vos choix de production ?
Pour ma part, je ne sais pas faire une émission de divertissement. Je n’ai pas les clefs, les codes, le savoir-faire. Il est vrai que mon penchant pour l’histoire ne m’a jamais vraiment quitté. Je produis essentiellement des documentaires ou des magazines qui traitent de questions socié- tales, de sujets historiques. Mes centres d’intérêt comme la musique envahissent souvent mes choix professionnels. Un bon producteur est pour moi quelqu’un d’extrêmement complet, bon en tout (rire). C’est une locomotive. Il faut savoir découvrir des talents, suivre l’écriture d’un scénario, avoir des idées, être créatif, gérer, trouver des financements, et être un grand raconteur d’histoires pour convaincre un paquet de monde de partir dans une aventure. Ce n’est pas le meilleur des rôles. À chacune des étapes, le film peut disparaître. Quand un projet est avorté, c’est une frustration, une blessure, le rêve ne se réalise pas. Pour ma part, le producteur doit être au service de la créativité et l’accompagner dans une réflexion permanente. Il y a souvent des clashs, comme dans une histoire d’amour ! Mais j’aime l’idée que cela doit rester un jeu, que l’on doit s’amuser, le côté très sérieux de l’entreprise me gêne, même si je reste très exigeant avec mes équipes !
La Corse, comme point d’ancrage ?
Les frontières n’existent pas pour moi. Le fait d’être insulaire m’a d’abord aidé à comprendre les autres îles. Cela m’a donné le goût du voyage, de l’aventure et je pense m’a aidé à comprendre certains territoires qui partagent les mêmes problématiques. En travaillant à Mayotte, j’ai pu constater que dans certaines situations, il valait mieux être corse que parisien ! Avoir le siège de son entreprise sur l’île est compliqué mais au fil des années de moins en moins. Je n’aurai pas pu travailler ailleurs. Ma volonté était et est de pouvoir travailler avec des réalisateurs, des auteurs corses. Produire un premier film, d’un jeune réalisateur ou d’un jeune auteur insulaire est toujours pour moi une expérience très vivifiante.
L’avenir ?
Mareterraniu aujourd’hui regroupe sur l’ensemble de ses activités environ cinquante personnes chaque mois. J’ai souhaité renforcer l’équipe de production en m’associant à Paul- Antoine Simonpoli. Il est fondamental d’évoluer dans ce métier, de renouveler ses idées et ses équipes. L’arrivée de jeunes collaborateurs permet d’apporter un regard neuf, inédit. Les formats d’écriture, de réalisation mutent en permanence, les supports sont multipliés, le replay est fondamental, il est impératif de pouvoir s’adapter à cette évolution pour créer la télévision de demain. Philippe Martinetti, le nouveau jeune directeur des antennes de France 3 Corse ViaStella, a, je pense, saisi ces nouveaux enjeux. Il nous permet aujourd’hui de produire «Agora», présenté par Sébastien Pisani un nouveau magazine qui propose chaque semaine de débattre sur des questions de société, «Democratia» un mensuel historique qui revient sur le parcours des démocraties méditerranéennes, neuf documentaires suivis d’un débat présenté par Anna-Francesca Leccia. «Le Cabaret insolite» présenté par Barbara Carlotti avec entre autres invités Philippe Katerine, Bertrand Belin, Catastrophe, Hugh Coltman et enfin nos insulaires «Kanaï» avec le duo de comédiens Cédric Appietto et Alexandre de Seze, sera je pense un programme décoiffant. Une saison palpitante qui me permet d’avoir les mêmes émotions qu’à mes débuts ! Vous voyez, rester en Corse a de plus en plus de sens, le poids de l’insularité est de en plus léger (sourire), finalement le centralisme parisien n’a plus la cote ! Pour ma part, j’ai viscéralement envie de revenir à la réalisation de concert live, d’opéra mais également de documentaires. La création prend du temps et j’ai de plus en plus le désir de m’en accorder.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
Je suis surtout fier des personnes qui travaillent avec moi, certains depuis 19 ans, le noyau dur depuis près de 10 ans. J’aime l’idée de les fédérer autour d’une structure dont la création audiovisuelle est le socle commun. Comme dans un conte pour enfant, j’adore exaucer des rêves.
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