Par une série de jugements rendus le 1er mars dernier, le Tribunal administratif (TA) de Bastia a prononcé l’annulation partielle du Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse (Padduc).
Par Maître Isabelle Leca Avocate au barreau d’Ajaccio
Examinons de plus près ces jugements pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette décision. C’est en juillet 2012 que l’Assemblée de Corse lance la procédure d’élaboration du Padduc. En 2014, le Projet d’aménagement et de développement durable (PADD) est adopté puis complété par le Schéma d’Aménagement Territorial (SAT), déclinaison cartographique du PADD. L’enquête publique se déroule ensuite du 4 mai au 3 juillet 2015. C’est une étape essentielle dans la procédure d’élaboration du Padduc en particulier, et des documents d’urbanisme en général.
En effet, l’enquête publique permet de garantir aux citoyens la transparence de la procédure d’élaboration en cours: d’une part, en leur donnant accès à l’intégralité des documents préparatoires ; d’autre part, en leur permettant de formuler leurs observations. Enfin, par délibérations du 2 octobre 2015, l’Assemblée de Corse approuve le Padduc ainsi que la liste des espaces remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral.
Ce sont ces délibérations qui ont fait l’objet d’une série de recours, tant de communes que de particuliers. Une partie de ces recours a déjà été examinée par le TA de Bastia et a conduit aux jugements du 1er mars 2018.
L’examen de deux autres recours est prévu lors de l’audience du 22 mars 2018 et donnera lieu à de nouveaux jugements. Des rebondissements dans la saga du Padduc pourraient encore survenir.
Que faut-il entendre par annulation partielle ?
Le TA n’a pas annulé l’intégralité des documents constituant le Padduc. Son annulation cible exclusivement le classement des Espaces Stratégiques Agricoles (ESA). Ce classement, qui portait sur une surface de 105 119 hectares (12% du territoire insulaire), a fait l’objet de multiples critiques et controverses. Cela est compréhensible puisque dans les communes dépourvues de document d’urbanisme – ce qui concerne une large majorité des communes insulaires – le classement en ESA, inconstructibles, était directement opposable aux demandes d’autorisations d’urbanisme telles que les permis de construire ou encore les certificats d’urbanisme*.
Cela signifie, très concrètement, qu’un permis de construire pouvait être refusé parce que le terrain d’assiette du projet était classé en ESA. Or l’un des effets notoires de cette annulation partielle est le suivant : les demandes d’autorisations d’urbanisme déposées à compter du 1er mars 2018 ne peuvent plus être rejetées au motif que le terrain sur lequel est localisé le projet est classé en ESA.
Pourquoi le juge a-t-il prononcé cette annulation ?
Le TA a constaté que deux jeux différents de cartes des ESA ont été successivement soumis au public durant l’en- quête. Or la seconde carte est erronée et présente un écart de 10000 hectares, en termes de superficie, par rapport à la carte valide. Le juge estime que cette irrégularité a privé le public d’une garantie**. Par consé-quent, il prononce l’annulation de la délibération de l’Assemblée de Corse du 2 octobre 2015 en tant qu’elle fixe la carte des ESA. C’est donc un motif tenant à la régularité de la procédure d’adoption du Padduc que retient le juge. Mais concernant le cas de la commune de Peri, il ne s’arrête pas là.
Le cas de la commune de Peri
L’analyse du TA est particulièrement intéressante sur le fond : il examine le choix qui a été fait de classer le secteur de la plaine de Peri en ESA. Selon lui, ce classement en ESA a été réalisé à tort dans la mesure où ce secteur est d’ores et déjà largement urbanisé***.
Cette analyse serait fort probablement transposable à des secteurs aux caractéristiques semblables à celui de la plaine de Peri, notamment dans d’autres communes du pays ajaccien. Cette annulation partielle du Padduc met de nouveau en lumière la complexité qui caractérise toutes les procédures d’élaboration des documents d’urbanisme. Cela a pour effet pervers de dissuader de plus en plus de maires, notamment, de se lancer dans l’adoption d’un Plan local d’urbanisme (Plu), outil pourtant indispensable d’aménagement des territoires. Pour désamorcer au maximum le risque d’annulation contentieuse, très élevé en la matière, il est essentiel pour les collectivités locales d’être efficacement accompagnées, avant même le lance- ment de la procédure et tout au long de son déroulement, non seulement sur les aspects urbanistiques et techniques, mais aussi juridiques.
*Voir le jugement du TA de Bastia du 16 mars 2017, n°1601030, disponible sur le site http://bastia.tribunal-administratif.fr ** Voir le jugement du TA de Bastia du 1er mars 2018, n°1600452, considérant n°11, disponible sur le site http://bastia.tribunal-administratif.fr
*** Voir le jugement du TA de Bastia du 1er mars 2018, n°1600452, considérant n°30, disponible sur le site http://bastia.tribunal-administratif.fr
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