La clameur des Corses qui à Rome ratifièrent le choix par François de l’accession au cardinalat de l’évêque de Corse annonçait donc la visite du pape en Corse pour affirmer sans doute que, vue du Vatican, l’île n’est nullement une zone périphérique de la bordure de l’Europe du Nord, mais qu’elle a vocation à participer comme terre de migration et de rencontre des religions, à un destin chrétien de la Méditerranée. Sans doute sont-ce là également les éléments d’un débat avec les laïcs sur les moyens de conjurer l’émergence de périls sociétaux comme la mafia, dont le pape s’est déclaré l’adversaire, qui, avec la pauvreté, le sous-développement économique et autre calamité climatique à venir, alimentent le désespoir des Corses, héritage de moments clefs de leur histoire.
Par Charles Marcellesi , médecin
LA CORSE ET LE DIVIN
Plus que la religion des morts des mégalithes, ce fut la civilisation indo-européenne du Terrinien, ces premiers métallurgistes du cuivre venus des steppes de ce qui est l’actuelle Ukraine et cela via les civilisations comparables de Remedello et Rinaldone en Italie, qui apporta à la Corse la fonction magico-religieuse, mais aussi la structure familiale garantie par la pratique de la vendetta, et le culte d’une divinité féminine qui figurera comme protectrice des fonctions productives des agriculteurs, des éleveurs et des artisans (-3000 av. J.-C.), à laquelle les chrétiens confieront plus tard la mission tutélaire de patronne de la Corse, la Vierge donc. Les premiers saints de Corse, martyrs venus d’Afrique du Nord, introduiront les ferments d’une identité chrétienne, qui peut se résumer en « le corps meurt pour l’Amour de Dieu », concurrençant une tendance identitaire plus ancienne se formulant en « Seul l’Amour de la famille protège de la maladie conférée par le transitivisme des éprouvés corporels » (ce qui s’illustre encore de nos jours dans la magie blanche de l’ochju, le mauvais œil). Avec l’évangélisation, l’implantation des chapelles contrôle l’espace physique et les sacrements, l’institution familiale héritée des Indo-Européens. Mais le malheur des Corses se confirmera, après nombre de vicissitudes des débuts de la période historique, avec l’envoi en Corse par les papes et les Carolingiens d’un « Protecteur de la Corse », le comte de Lucques (816), car ce qui s’en suivit fut le traumatisme de l’instauration de la féodalité, cauchemar que l’historien Antoine Casanova décrivit comme une « eschatologie à l’envers » à entendre : advenue au quotidien comme l’éternisation d’un Jugement dernier. Cette contingence historique rejoint un débat plus général et moderne, celui entre foi et laïcité et qui mérite ici une disgression.
FOI ET PSYCHISME
Pour qui s’intéresse au fonctionnement de l’appareil psychique, la question est celle du rapport entre savoir et vérité, longuement développé par Lacan dans son séminaire L’objet de la psychanalyse(1965-1966). L’expérience de l’inconscient conduit à cet « abouchement étrange » entre « être de savoir »et« être de vérité » et qu’au lieu où ça parle, s’instaurera une « primitive fiction », que la poursuite de la parole établira comme vraie ou fausse (« Moi, la vérité, je parle »). C’est ce qui cause le désir d’un sujet qui engendrera un savoir, soit un réseau articulé de représentations que la conscience ne reconnaît pas comme siennes et qui tracent pourtant les expériences décisives de ce sujet. La science ne veut rien savoir de la « vérité comme cause » de ce qui est subjectif, elle la rejette, la « forclot » ; la magie retiendrait la vérité comme « cause efficiente » mais ne donnerait pas accès au savoir du sujet définitivement maintenu au niveau d’un refoulement originaire ; enfin dans la religion, la vérité est renvoyée à des fins eschatologiques, soit comme cause finale, reportée à un jugement de fin du monde, et cela à l’appui d’une révélationfinale qui vaut pour Lacan dénégationde la vérité comme cause, c’est-à-dire de la vérité dans laquelle se fonde le savoir d’un sujet « parlant et désirant » donné.
VITALITÉ DE LA RELIGION CHRÉTIENNE EN CORSE : LES CONFRÉRIES
Ce fut grâce au monachisme, d’abord les bénédictins, ensuite les ordres mendiants des franciscains et des dominicains, que le catholicisme s’intégra dans la population au plus près de ses préoccupations quotidiennes. Son influence déclina, pour cause de soupçon de dépendance à Gênes, avec la révolution paolienne qui maintint néanmoins, bien que Paoli fût un authentique homme des Lumières, le catholicisme comme religion d’État en Corse. D’assurer la continuité de cette influence du monachisme échut aux Confréries qui de nos jours encore maintiennent les traditions religieuses, l’architecture sacrée, la liturgie et le patrimoine culturel et propagent les valeurs d’entr’aide et de respect de la communauté, à l’encontre d’une adversité et d’un malheur faits de toute une série de symptômes des sociétés néolibérales (narcotrafic, spéculations diverses où se déclinent toutes les formes d’envie, de déshumanisation et enfin de la destruction de l’environnement). Le pape en venant en Corse semble croire que l’île peut encore, selon le mot de Rousseau, « étonner le monde ».
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