Voilà un an, la maison d’édition Òmara voyait le jour in Purtivechju. Elle se complétait par la revue Litteratura. Deux initiatives voulues et réalisées par Marcu Biancarelli associé à Jérôme Luciani. Elles enrichissent singulièrement le domaine culturel insulaire. D’autant qu’elles contribuent à défricher les chemins d’une littérature corse.
Par Vannina Angelini-Buresi
C’est en sa qualité d’auteur et son expérience professionnelle que Marcu Biancarelli, publié par de nombreux éditeurs en Corse mais également par une grande maison d’édition sur le continent, a eu besoin de créer sa propre maison d’édition.
Il sait que ce n’est pas toujours facile d’exister en tant qu’auteur à l’échelle insulaire. Ce constat et son parcours personnel lui ont permis de lancer cette nouvelle activité. « Ce que je voulais c’est une maison d’édition qui ait ma griffe qui me corresponde, j’ai besoin d’être autonome. » Avec Òmara, il a voulu apporter un certain savoir-faire surtout au niveau du travail éditorial d’écriture « j’apporte aux auteurs un vrai regard professionnel sur ce qu’ils font et ensuite ma vision particulière et celle de Jérôme, de l’esthétique d’un livre, de ce que doit être un espace littéraire, une édition qui se voue spécialement à la littérature ».
C’est dans la continuité logique du travail initié notamment, par l’édition associative de Tonu è Timpesta, et c’est ce travail d’équipe qui a motivé Marcu. « C’est ce qui me plaît ! après chacun fait sa route aussi et chacun a sa singularité mais beaucoup de maisons d’édition en Corse ne se vouent pas à la littérature et moi j’avais envie de me consacrer à la littérature et c’est l’accomplissement de tout ce travail que j’ai pu faire en amont avec les blogs et les différentes équipes que j’ai côtoyées. » Ce n’est pas spécialement les ateliers littéraires, ce sont tous les acteurs de ces aventures littéraires auxquelles il a participé qui ont suscité ce désir. L’auteur de Murtoriu a pensé qu’il avait la maturité nécessaire pour envisager de créer sa propre maison d’édition. Une édition dédiée à l’émergence de nouveaux talents, qui puissent aussi servir peut-être de pouponnière pour des maisons d’édition plus prestigieuses un jour, sans pour autant se considérer inférieur à ces dernières. « À moment donné on doit traiter la littérature en Corse avec les mêmes égards qu’elle est traitée ailleurs et si on a des plumes confirmées qui arrivent chez nous on va les éditer aussi. En sachant que notre territoire de prédilection c’est la Corse et pas ailleurs mais on veut offrir la possibilité aux lecteurs extérieurs aussi de découvrir nos livres, non pas par une distribution sur le continent, cela est impossible, mais par la commande, et par un site qu’on a créé et qui suscite déjà pas mal d’engouement. » Ici, l’édition Òmara essaye d’être présente dans tous les points de vente où cela a du sens, les librairies et tous les acteurs de la littérature en Corse.
Créateurs pas épiciers
L’objectif est de couvrir d’abord le territoire, ce n’est pas en termes de rentabilité que les éditeurs réfléchissent, ils se veulent être créateurs et artistes avant tout et non pas épiciers ? « Ce qui m’intéresse je le dis franchement c’est que les auteurs y trouvent leur compte, le plus de livres vendus le plus de lectorat possible. » Il ajoute « on attend toujours que les gens soient reconnus de l’extérieur pour considérer qu’on leur doit des égards, on a tort, d’abord on s’infériorise, on ne vise pas la qualité chez nous en faisant comme ça on se dit que ce qui sort de chez nous n’est pas de qualité alors que c’est de qualité. C’est ce qu’il faut démontrer, il faut faire vivre les livres et traiter les auteurs avec tout le respect qu’il leur est dû ». Cette maison d’édition ambitieuse est toutefois consciente qu’il n’y a pas de marché du livre en Corse et veut privilégier la qualité et non pas la quantité, c’est un travail à faire en amont afin de pouvoir tirer le livre vers le haut. C’est aussi un travail de réflexion pour savoir quand un livre doit sortir, à quelle période et en combien d’exemplaires « On n’est pas Gallimard, on n’est pas Actes Sud, il ne faut pas se prendre pour d’autres. » Pour autant Òmara ne veut pas être une maison d’édition de complaisance mais aspire à respecter les exigences et objectifs qu’elle s’est fixés.
Au nom du talent
Les ateliers littéraires, animés par celui qui compte aujourd’hui trois signatures chez Actes Sud, lui ont permis de découvrir de nouvelles pépites in i so lochi comme Nicolas Rey et de les accompagner dans leur écriture. Les conseiller, les former aussi grâce à ces ateliers notamment sur Purtivechju. Dire une fois de plus que cette maison d’édition est la somme de tout ce travail mené en transversalité par un groupe constitué au début des années 2010, qui a grandi chemin faisant, s’est enrichi et nourri de ces rencontres faites et de jeunes talents aussi, qui sont venus les côtoyer. Jeunes talents ou plumes confirmées comme celui qui fera l’actualité littéraire à la rentrée, Jean-Michel Neri en proposant une œuvre bilingue. Nicolas Rey avant de signer son recueil de nouvelles Utah dans la cité du sel en avait déjà publié quelques-unes via le blog Tonu è Timpesta. Des nouvelles que les éditeurs ont longtemps envisagé de proposer en version bilingue parce que Nicolas a aussi écrit en corse. Mais c’était fastidieux il aurait fallu beaucoup trop d’implication et de travail sur la durée, au moins deux ans pour le traduire. L’édition ne se privera pas un jour de faire paraître un ouvrage en corse uniquement. L’univers de Nicolas est très axé sur la littérature anglo-saxonne moderne, sur des écrivains qui sont vraiment le must de la littérature américaine d’aujourd’hui. Il traite beaucoup d’aventures, d’histoire, de voyage de dépaysement et d’une condition humaine assez désespérante où la violence est quasiment toujours présente. Nicolas écrit sur les anti-héros. C’est ce qui a fasciné l’auteur d’Orphelins de Dieu et qu’il avait très tôt perçu chez lui.
Passeport pour le renom
Mais la formation des bonnes écoles des ateliers d’écriture ne s’arrêtent pas à Purtivechju. Le centre culturel de l’université de Corti en anime aussi depuis de nombreuses années et collaborent d’ailleurs avec les éditions Albiana pour rendre public le travail mené et permettre aux jeunes participants de se faire connaître. C’est le cas pour Philippa Santoni qui avait déjà publié deux recueils de nouvelles avant de sortir son premier roman cette année chez Òmara. Marcu Biancarelli est boulimique de travail et ses multiples activités lui permettent de rencontrer de nouveaux écrivains. C’est sur le plateau de « Libraria », émission qu’il présente sur France 3 Corse ViaStella, qu’il proposera à Philippa de publier le manuscrit rédigé au cours du confinement. « Je l’avais découverte à travers ses ouvrages précédents, elle avait déjà édité deux bouquins, j’ai compris que l’on avait ici une écrivaine naissante et que ce qu’elle proposait était intéressant, ce qu’elle confirme avec son premier roman. Ce n’est pas seulement la thématique abordée par notre jeune écrivaine qui a séduit l’édition porto-vecchiaise mais aussi la force de l’écriture. Ça débordait du cadre corse, on n’était pas dans de l’ouvrage provocateur ni dans un ouvrage militant, c’est d’abord un texte qui parle d’amour, de la complexité à tous égards du rapport amoureux. » Marcu est évidemment satisfait de ses découvertes et d’avoir à ses côtés ces talents naissants mais il est cependant conscient qu’il y a des activités qu’il ne pourra pas multiplier à l’infini comme le rythme soutenu des ateliers littéraires. « Il faut qu’on ait du temps pour poser les bases d’un grand projet de maison d’édition à vocation littéraire Je suis content déjà de notre première année mais on est réaliste c’est-à-dire qu’on rêve les pieds sur terre. » Élargir le cercle, étoffer l’équipe mais l’affiner toujours. Tel est leur credo. Agréger des personnes de qualité passés ou pas par les ateliers ou rencontrés via le plateau de « Libraria ».
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