Le Parlement à la rue !
Y aurait-il quelque chose de pourri dans notre démocratie parlementaire ? Les débats sur la réforme des retraites ont offert un spectacle particulièrement navrant. Vociférations, insultes, obstruction, exclusions, les débats ont été émaillés d’incidents incessants. Ce n’est pourtant pas inédit. L’Assemblée nationale a souvent été un théâtre d’invectives parfois brutales.
Par Vincent de Bernardi
En 1880, Léon Gamebtta, alors président de la Chambre des députés, dut faire appel à la troupe pour calmer au beau milieu de l’hémicycle un député royaliste vociférant contre la République. En 1893, c’est une bombe qui éclata au Palais-Bourbon, lancée par un anarchiste. Au moment de l’affaire Dreyfus, les séances dans l’hémicycle finissaient fréquemment en bagarre générale.
En rappelant ces faits dans une tribune dans le Figaro, Yaël Braun Pivet, présidente de l’Assemblée nationale prévenait que « zadifier le Parlement serait ruiner la démocratie » ajoutant avec un poil d’emphase à l’adresse de ses collègues « soyons dignes de Jaurès et de Clemenceau : sachons nous opposer avec esprit, en beau langage et dans les règles de l’art, sans appel au meurtre et sans invective ».
La dérive observée lors du débat sur les retraites a été principalement le fait des députés de la France Insoumise, souvent issus d’une culture de la radicalité.
Pour le politologue Pascal Perrineau, rien d’étonnant puisqu’ils considèrent que la démocratie parlementaire est une fausse démocratie et donc ils la méprisent. Pour autant, le délitement du débat et la crise de représentation à laquelle nous assistons, sont certainement à rechercher dans les multiples fractures dont souffre la société française.
Élus déracinés
Depuis 2017, les élus nationaux sont coupés du terrain. Ils ne peuvent plus cumuler leur mandat de députés ou de sénateurs avec un mandat local. Dans ce changement voulu pour renouveler la vie parlementaire, Pascal Perrineau y voit le risque d’une déconnexion. « Les Français n’ont vu que l’aspect négatif du cumul des mandats. Il y avait aussi un aspect positif, c’est-à-dire que ceux qui nous représentaient étaient enracinés, avaient de la glaise collée à leurs souliers. »
Un fossé s’est creusé entre le peuple et ses représentants. Pour tenter de le combler, il plaide pour une réforme institutionnelle qui accorderait aux collectivités locales des compétences accrues. « La France a besoin d’une véritable décentralisation afin que tous ces territoires aient voix au chapitre. » Autrement dit tout ne peut plus se décider à Paris, dans le tumulte d’un Parlement qui ne respecte plus le débat démocratique et qui est coupé du pays.
La démocratie, dont on regrette le mauvais fonctionnement depuis des années, n’est pas le seul apanage d’un Parlement qui la rudoie. Les partenaires sociaux ont montré leur capacité à discuter, à s’entendre, en trouvant des compromis sur des sujets qui concernent directement la vie des Français. L’accord sur le partage de la valeur en est la preuve tangible. Dans ce contexte, la démocratie sociale joue un rôle nouveau et tout à fait essentiel.
Sagesse syndicale
L’obstruction parlementaire lors des débats sur les retraites, la stratégie guidée par des calculs politiques, ont renforcé les syndicats, les faisant apparaître comme l’opposant raisonnable à la réforme. Le sociologue Guy Croux, directeur de recherche au Cevipof, voit dans l’attitude des syndicats et plus particulièrement de la CFDT quelque chose de très important : « Face à ce qui se passe à l’Assemblée nationale, la rue fait preuve de calme. Laurent Berger joue beaucoup sur cet aspect-là : les responsables, ce sont avant tout les syndicats quand les déraisonnables sont sur les bancs de l’Assemblée. »
Par ailleurs, ce n’est pas parce que la démocratie parlementaire déraille, que la démocratie locale doit s’enrayer. Pour éviter ce risque, un nouvel acte de décentralisation s’avère indispensable. C’est d’ailleurs ce qu’envisage le gouvernement, pris en étau entre deux forces extrêmes au niveau national.
L’autonomie en débat
Les expériences de démocratie participative incarnées par les consultations, les conventions citoyennes ne semblent plus suffire. En remettant dans le débat un approfondissement de la décentralisation, en ressortant des cartons, le conseiller territorial version sarkozyste entend laisser la main sur le terrain local, pour mieux la reprendre au niveau national.
Pari risqué d’autant plus que les ouvertures, faites sous la pression sur l’autonomie en Guadeloupe ou en Corse, n’avancent guère.
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