Le père Noël par Emmanuel Bonini
Est-ce un homme, est-ce une femme, a-t-il des ailes, n’en a-t-il pas, combien de voyages à son actif, de chevaux à son traîneau, préfère-t-il les fraises aux framboises, les princes aux princesses, où passe-t-il ses vacances d’été, planque-t-il ses sous dans une banque suisse, quel âge aurait-il dans mille ans, est-il vrai qu’il recommande de manger cinq enfants par jour ?
Je pourrais continuer ainsi pendant des heures et des kilomètres… Toutes ces questions qui s’allongent et empoisonnent mon existence depuis des temps immémoriaux, d’autres avant vous se les ont posées. Au nom de tous ces gens qui se croyaient éternels, permettez-moi de vous décevoir. Car je ne dirai rien. Comprenez-moi : je ne vis que d’eau et de mystères. Depuis des siècles, je nage entre les deux dans un état de léthargie et vous ne gagneriez rien à réveiller une situation qui me convient et vous sauve de vous-mêmes.
N’insistez pas, petits fous ! Je ne parlerai pas.
Sachez seulement que je laisse les ailes aux oiseaux, les framboises aux abeilles, les vacances aux mortels et les enfants croustillants aux ogres des fables d’antan. Et si à l’argent je préfère les illusions c’est qu’elles nourrissent mieux son homme. Ces illusions que vous perdez avec le poil, j’en ai fait ma cure de jouvence, voilà pourquoi les autres meurent et le père Noël passe. Ne m’enviez pas ! Demandez-vous plutôt : « Qu’ai-je fait des miennes ? » Renoncer à ses illusions c’est vieillir avant l’heure et vieillir avant l’heure c’est mourir trop tard.
Savez-vous ce que m’a écrit un enfant ce matin ? Non, je ne vous le dirai pas ! Cet enfant m’implore de le rendre immortel en sauvant sa planète. Il ne veut rien d’autre comme cadeau, cette année. Écoutez ça :
« Cher père Noël,
Si vous ne faites rien pour cette vieille Terre que vous parcourez de long en large depuis que l’enfant est roi, nous allons tous mourir, les hommes, les chiens, les bons, les cons… et même vous ! Certains rêvent de vous jeter à la mer… » Il est trop tard, mon petit « , allez-vous me répondre. Justement ! C’est parce qu’il est trop tard qu’il faut continuer à bourrer nos pantoufles d’illusions. Je vous en supplie, père Noël ! Mais ne dites rien à mes parents, ils auraient du mal à comprendre que je ne rêve pas du dernier joujou à la mode construit à l’autre bout du monde par d’autres enfants déjà morts.
Des illusions, je ne désire rien de plus. Des herbes un peu folles qui reviendraient danser et chanter Let the Sunshine au-dessus des tours et des grandes surfaces… Des poissons de trente étages qui oublieraient de déverser toute la noirceur du monde aux abords de nos côtes… Des papas milliardaires qui renonceraient à enrichir leurs enfants en vendant de la drogue à ceux du voisin… Des mamans qui ne mourraient plus de longues maladies, tuées par des fous dangereux déguisés en nuages nucléaires… Des animaux à qui l’on n’infligerait plus ce que nous n’aimerions pas subir… Des tartarins de clocher qui mettraient un peu d’eau-de-vie dans leurs guerres le temps d’une soirée où la fratellanza se mange en salade avec un peu de bruccio… Des illusions. Ah, oui, j’ai oublié de vous dire : je suis corse et mon île c’est le monde.
Merci père Noël. »
Pauvre enfant… Comment répondre à cela, on ne m’a jamais appris à écrire, je ne suis qu’un vieux marchand d’illusions. Pourtant, le 24 décembre, cet enfant pourra s’endormir tranquille, je me le jure ! Au royaume des illusions, il n’y a pas de promesses mortes.
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