Le rêve giscardien de Macron
DEUX FRANÇAIS SUR TROIS
En obtenant 66% des voix au second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron touche du doigt le vieux rêve de Valéry Giscard d’Estaing qui, en 1984, disait que pour réformer efficacement la France, il fallait rassembler deux Français sur trois.
Par Vincent de Bernardi
Pour autant, ce score est-il le signe du grand rassemblement ? La première mesure réalisée par l’IFOP une semaine après son investiture montre que les Français accordent au nouveau Président une confiance bienveillante. Avec 62% de satisfaits, il se classe sur le podium des meilleurs débuts de mandat derrière le général de Gaulle en 1958 et Nicolas Sarkozy en 2007. Ses premiers pas sont jugés positive- ment et les sondés, toutes catégories confondues, sauf chez les sympathisants du Front national, évoquent « le renouveau et la modernité».
De nombreux commentateurs ont osé des parallèles avec des figures aussi diverses que celles de Bonaparte avant Napoléon, de Tony Blair, de Barack Obama ou encore de Valéry Giscard d’Estaing. Incontestablement, il y a quelque chose de giscardien chez Emmanuel Macron. Leur parcours d’abord. Il les a menés, l’un et l’autre, de l’inspection des finances jusqu’au ministère de l’Économie, puis à l’Élysée. Leurs convictions ensuite : pour agir vite, il faut dépasser le clivage entre la droite et la gauche et se libérer des carcans imposés par le système. En réalité, Emmanuel Macron, comme Valéry Giscard d’Estaing avant lui, s’affranchit des pratiques du système plus que du système lui- même. Il en revient à une forme d’orthodoxie de l’exercice du pouvoir, par une forme de (re)présidentialisation et par une communication millimétrée, cadenassée, regretteront certains journalistes.
Une France fracturée
La victoire d’Emmanuel Macron ne peut cependant masquer une France fracturée et inquiète, une France coupée en deux. Pour Pierre Rosanvallon, il y a celle qui veut un renouveau démocratique et exprime une attente optimiste en l’avenir et il y a celle de la peur et du rejet de l’autre, de la défiance et du populisme. Dans ce contexte, il souligne que ce qui s’est passé lors de l’élection présidentielle marque le vrai début de la Ve République dont l’objectif était d’instituer une démocratie au- delà des partis. Au cours des derniers mois, on a vu émerger deux mouvements – « En marche ! » et « La France insoumise» – qui, à eux deux, ont disqualifié les partis dits de Gouvernement sans pour autant endiguer la progression d’un Front national qui obtient désormais plus de 10 millions de voix. Dans cette configuration, l’objectif de rassembler deux Français sur trois paraît bien illusoire d’autant plus que, ramené au nombre des inscrits, Emmanuel Macron ne recueille que 43,6% des suffrages.
Des hauts et des bas
L’enjeu sera donc bien de résoudre cette fracture en cherchant à réconcilier la France d’en bas avec celle d’en haut, identifiée bien avant 2002 par Jean-Pierre Raffarin. Christophe Barbier dans L’Express souligne que cette élection comme celles à venir, et notamment les législatives, sont de nature à réveiller une « lutte des classes binaire – peuple contre oligarchie -, parce que ceux qui ne profitent pas de la mondialisation pensent qu’une victoire d’Emmanuel Macron ne servira que l’élite. À lui de démontrer qu’en aidant le haut à entreprendre et à s’enrichir, il garantit au bas une meilleure solidarité et le redémarrage de l’ascenseur social». En nommant à Matignon, Édouard Philippe, le très juppéiste député-maire du Havre, un « homme de droite » comme il s’est lui-même qualifié lors de la passation de pouvoir avec Bernard Cazeneuve « homme de gauche », le Président fait imploser ce qui restait du clivage droite-gauche et appelle à constituer une majorité de mouvement autour de lui. Christophe Barbier évoque d’ailleurs à ce propos une majorité « emmanuellienne où chacun n’existerait que par son lien au chef».
Spécificité insulaire
Or, cette majorité que les experts électoraux prédisent à l’issue des élections législatives aura une physionomie inédite. Entre les nouveaux députés issus de la société civile, les convertis de la première heure comme les ralliés de la dernière, le cocktail risque d’être séduisant dans un premier temps mais certainement pas dénué d’effets secondaires. À cet égard, le choix des investitures comme leur orchestration témoignent de cette volonté de renouveler les responsables élus et de recomposer la vie politique. On pourra toutefois s’interroger sur les choix opérés en Corse dont le tropisme giacobbiste n’aura échappé à personne. La spécificité insulaire aurait-elle arrêté le souffle du renouvellement venu du continent ? Pas sûr qu’en faisant ce pari, les candidats investis sous la bannière de « La République En Marche » parviennent à réunir deux Corses sur trois dans une île où chacun cherche à reprendre le terrain laissé aux nationalistes, qui quelques mois avant Emmanuel Macron, avaient eux aussi troublé le vieux clivage droite-gauche.
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