Par Jean Poletti
Élections européennes vraiment ? La campagne se focalisa essentiellement sur des problématiques nationales. Certes au gré des arguments apparaissaient parfois des considérations liées à la politique commune des états membres. Mais ces incursions relevaient fréquemment de l’exercice obligé, presque accessoire. Nous vîmes émerger et se solidifier des analyses pertinentes mais qui n’avaient vraisemblablement pas leur place dans un tel scrutin. Confusion des genres ? Nullement. Les différents candidats furent pris dans le tourbillon de problématiques purement nationales à l’image de la sécurité, l’islamisme, le pouvoir d’achat. Et plus étonnant le conflit israélo-palestinien. À maints égards le chemin des urnes était balisé par l’adhésion ou la sanction à Emmanuel Macron. Il convient de dire que la représentante du parti présidentiel fut envoyée au front comme volontaire désignée. Les grands caciques de Renaissance ne se bousculèrent pas au portillon pour être capitaine ou membres d’équipage d’un bateau pris dans la tempête. Courage fuyons. Sollicités, Bruno Le Maire et tant d’autres préférèrent rester au port. Il fallut même que l’Élysée invite sans ambages le chef du gouvernement à s’investir dans cette bataille, ce qu’il fit tardivement, en traînant les pieds. Pourtant le macronisme fait fréquemment ses choux gras de l’Europe, tentant de conférer aux pays membres les atours de remède pour peser dans le concert mondial. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Nous reviennent en mémoire les mots d’un de Gaulle joignant le geste à la parole « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe, l’Europe, l’Europe, mais cela n’aboutit à rien. » Soixante ans après, pour des raisons différentes, les thuriféraires de la supranationalité se gargarisent de mots, mais désertent en rase campagne lorsqu’il s’agit d’en défendre les couleurs devant le suffrage universel. Et comme en écho posthume Mitterrand de souligner que le véritable homme politique est celui qui ne rechigne à affronter le gros temps pour plaider ses idées. Au risque d’être défait. Oui mais voilà, ces caractères teintés d’airain ne semblent plus peupler les allées du pouvoir. Aussi n’est-ce pas insondable mystère si les adeptes du fameux « en même temps » se trouvèrent à la traîne, se faisant tailler des croupières par le socialiste Raphaël Glucksmann. Et n’osant même plus jouer les utilités face au cavalier seul de Jordan Bardella. Ces ministres et autres affidés, illustres inconnus, devant tout au Président, se replièrent dans une illusoire tour d’ivoire afin de préserver leurs rentes de situation. Mais cela équivaut à reculer pour mieux sauter. L’échec sera collectif risquant de balayer la crédibilité de ceux qui s’arment déjà pour la future bataille au titre suprême. Jean-Charles Orsucci n’a que faire de ces considérations. Pressenti, il répond présent sans l’esquisse de l’ombre d’une hésitation. Ne se préoccupant pas si sa place était synonyme d’éligibilité. Contrairement à ces sujets de cour, qui se pressent auprès du prince mais se dérobent aux vents mauvais, le maire de Bonifacio s’implique dans le droit fil de ses convictions. Affichant la philosophie rocardienne pétrie du parler-vrai qui épouse la conscience. Mais le volet insulaire de la confrontation met aussi en exergue Nathaly Antona. Vingt-quatrième sur la liste du Rassemblement national eut Strasbourg en point de mire. En bannissant toute supputation et théorie fumeuse, nul doute que la lutte finale sera jugée à l’aune des problématiques insulaires. Calendrier oblige, la formation de Marine Le Pen, écrasant la concurrence, affiche son hostilité à la réforme institutionnelle. Certains n’auraient-ils pas beau jeu, en un saisissant raccourci, de mettre à la sauce corse le fameux référendum invisible en l’appliquant au processus d’autonomie ? Certes les enjeux sont différents. Bien sûr, argueront les analystes de salon, comparaison n’est pas raison. Il n’empêche un tel épilogue laisserait à n’en point douter des traces. D’ailleurs faut-il préciser en convoquant le passé récent que François Mitterrand, père des statuts, fut lors de ses deux septennats victorieux systématiquement minoritaire chez nous. Et Jospin n’affirma-t-il pas clairement, qu’élu la Corse aurait son autonomie ? Le verdict lui fut contraire. Mais dans sa défaite il convient de se rappeler que chez nous il termina troisième derrière Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Sarkozy connut le même revers avec sa consultation locale, notamment dévolue à supprimer les conseils généraux. Certains disent que l’histoire est un éternel recommencement. Mais ici plus qu’ailleurs cette assertion n’a pas une valeur cardinale. Elle est même souvent tenue en échec par la surprenante volatilité des votes. Ainsi par exemple lorsque Chirac sitôt intronisé président décida de dissoudre l’Assemblée nationale, l’île envoya trois députés de gauche sur quatre au Palais Bourbon. Tout cela conduit à évoquer en saine logique que les vérités électorales de la veille ne sont pas forcément celles du lendemain. Comme si sur nos rivages et dans l’intérieur, le citoyen prenait un malin plaisir à déjouer tout pronostic. Et si cela était finalement la glorieuse incertitude de la démocratie ?
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