LE RETOUR DU DYNAMISME RÉGIONAL

Et si on prenait Onfray au mot ?

Par Vincent de Bernardi

Dans cette campagne électorale où le débat d’idées a été bafoué, détourné, piétiné, la question de la décentralisation ne pouvait qu’être ignorée comme celle de la relation de la Corse à l’État.

Decoloniser-les-provincesLes candidats qui se sont déplacés dans l’île n’ont pas brillé par des prises de positions novatrices. Ils se sont contentés de revenir sur les sujets d’actualités, la co-officialité, le rapprochement des prisonniers, le statut fiscal… Ils ont avancé quelques idées parfois avec panache, souvent avec une once de démagogie, suscité des tensions et laissé un goût amer d’instrumentalisation d’une population défendant ses valeurs et fière de ses racines.
La question statutaire, la perspective d’une autonomie plus affirmée dans le cadre républicain a été soigneusement tenue à distance, comme si l’instauration de la collectivité unique au 1er janvier prochain avait douché toutes les ambitions girondines. Il faut dire que le gouvernement a fait montre d’un zèle inhabituel pour promouvoir cette évolution institutionnelle que l’ensemble de la classe politique insulaire réclamait depuis longtemps. Depuis des mois, le défilé des ministres a intrigué les observateurs les plus attentifs sans qu’ils puissent véritablement percevoir une quelconque stratégie dans cet intérêt soudain pour l’île et son avenir. Ces derniers prêteront difficilement aux représentants actuels le même sens de l’anticipation politique et la vision de certains de leurs prédécesseurs, de Pierre Joxe à Charles Pasqua.

Révolution pacifique
Dans ce contexte marqué par la faiblesse du débat, le dernier ouvrage de Michel Onfray ne pourra laisser les Corses insensibles. Son titre Décoloniser les provinces est emprunté au manifeste de 1966 dans lequel Michel Rocard affirmait que la renaissance du dynamisme régional supposait la disparition de la tutelle de l’État et du préfet. Il attisera aussi l’esprit, s’il en était besoin,
des nationalistes les plus résolus. Au-delà de ce qu’ils pourraient considérer comme une évidence, le livre de Michel Onfray pointe du doigt une société française profondément ancrée dans une « tradition jacobine centralisatrice » avec laquelle il est urgent de rompre. Il souligne d’ailleurs que la quasi totalité des candidats à l’élection présidentielle s’inscrit dans cette tradition : « c’est l’État qui fait la loi, l’État c’est Paris, et Paris c’est une poignée de personnes qui font la France». En suivant Onfray, on comprend dès lors que la revendication régionaliste, sinon autonomiste, n’est toujours pas une préoccupation des responsables politiques nationaux et que leur discours de reconnaissance de la spécificité insulaire se heurtera toujours ou presque à une conception étatiste. Au fond, sans craindre la caricature, pour Onfray, on peine à sortir du Triomphe jacobin de 1793. Dans cet essai, il esquisse l’idée que le gouvernement doit se reconnecter à la réalité du peuple en redonnant un vrai pouvoir aux mairies, aux départements, en repensant la question de la région en terme de représentation, en pensant l’État de manière libertaire. « Le seul vrai pouvoir c’est d’exiger qu’on puisse changer les choses depuis la base, […] avec la possibilité de fonctionner de manière communautaire, que les décisions soient prises par les gens qui sont concernés.» Il en appelle à une révolution pacifique qui est celle du « commu- nalisme libertaire » c’est-à-dire d’une autonomie donnée aux communes fédérées en parlements régionaux. Une enquête du Cevipof réalisée en 2015 montre que les Français demeurent sur ce point assez conservateurs. Interrogés sur l’avenir des communes, deux tiers d’entre eux (63%) souhaitent qu’elles restent comme elles sont, en gardant leurs compétences actuelles de proximité, 22,5% suggèrent qu’elles fusionnent avec des communes voisines pour ne plus former qu’une seule nouvelle commune « et enfin 13% seulement appellent à ce qu’elles disparaissent au profit de structures intercommunales… ».

La commune au pouvoir
Sans hésitation, les Français plébiscitent donc le statu quo d’une institution communale à laquelle ils sont fortement attachés, indépendamment de leur statut social, démographique, économique, religieux et de leurs convictions idéologiques. À l’inverse l’idée de réforme intercommunale, appelant soit la disparition des communes telles qu’elles existent et fonctionnent aujourd’hui, soit leur évolution en des entités plus grandes recueille un avis favorable auprès de Français, majoritairement âgés (+de 65 ans), éduqués (Bac+5 et plus) et se situant plutôt au centre de l’échiquier politique. Avec de tels résultats, la tentation est forte de conclure au désir d’immobilisme des Français vis-à-vis de leurs communes. Et si au fond, les Français demeuraient «d’indécrottables» jacobins qui s’ignorent ? Concernant la Corse, il faudra bien que, sous couvert d’une volonté décentralisatrice irréversible, l’État progresse sur la voie d’une autonomie plus poussée. Car la Corse n’est pas une province comme les autres. Elle ne le sera jamais. Elle a derrière elle une longue quête que certains qualifient «d’émancipation» qui ne peut plus être négligée et elle a désormais la capacité à agir.

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