LE RN PREMIER PARTI DE CORSE, UN BRUTAL COUP DE SEMONCE QUI REBAT LES CARTES

Députés nationalistes et libéraux ne durent leurs succès aux législatives qu’à un front républicain, ou en partie pour l’un d’eux à un apport lepéniste. Au-delà des étiquettes la majorité silencieuse signifia dans un stupéfiant premier tour que les édiles insulaires, locaux territoriaux ou nationaux, ne s’occupaient pas vraiment de leurs préoccupations. Le pouvoir incarné par Gilles Simeoni fut à l’évidence frontalement visé. Mais en incidence les autres nationalistes et la droite reçurent aussi un avertissement sans frais. Tous reconnurent qu’ils devaient se remettre en question.

Par Jean Poletti

Le coup passa si près que le chapeau tomba. Le temps des analyses factuelles de lendemain de scrutin doit laisser place au recul propice à des enseignements moins elliptiques. À cet égard ressurgit un fait incontournable qu’une fâcheuse tendance tend à occulter. Dans un scrutin, le score du premier tour se veut une indication que ne peut effacer le résultat final. La maxime « d’abord on choisit, ensuite on élimine » prit en l’occurrence l’aspect de la vérité. Le Rassemblement national totalisa quelque quarante cinq mille suffrages et sortit même en tête dans les deux circonscriptions de Corse-du-Sud, fut faiseur
de roi à Corte-Balagne, et talonna Michel Castellani du côté de Bastia. Cet épisode initial est d’autant plus éloquent que les représentants de Bardella, exception faite de François Filoni, étaient d’illustres inconnus, parachutés, sans l’élémentaire connaissance de l’île et étrangers aux problématiques fussent-elles récurrentes. Leurs prestations médiatiques s’avérèrent surréalistes aux lisières du vaudeville. Cela ne prit toutefois pas rang d’obstacle. Et nul n’ose imaginer leur résultat s’ils avaient été des candidats
capés et enracinés dans le terroir. Triturer les chiffres et se limiter aux victoires et défaites
ne suffit pas à combler l’implacable évidence. Tous les sortants chancelèrent sur leur piédestal. Et celui qui mordit la poussière fut en partie victime de l’apport non négligeable
des bulletins lepénistes qui convergèrent vers son challenger. À cet égard il ne paraît pas inutile de souligner que la candidate de la flamme fut priée de se désister sans autre forme de procès dans le cadre d’une directive émanant de ses instances régionales et nationales. Cela bien évidemment n’enlève rien à la réussite de François-Xavier Ceccoli qui précédemment rata de peu le coche. Il
affirma le soir de sa consécration qu’il n’était nullement comptable des ralliements. Et d’indiquer par ailleurs qu’il avait également bénéficié de reports venus de la gauche et accessoirement des nationalistes.

Des signes avant-coureurs
Quoi qu’il en soit une nouvelle donne, sinon politique à tout le moins électorale, bouscula l’échiquier. Le parti de Marine Le Pen s’est imposé comme le premier de Corse. Révolu le temps où son père, sitôt descendu de l’avion était stoppé par des manifestants. Terminé l’argumentaire répétant en leitmotiv que la droite extrême faisait ici de beaux scores exclusivement lors de consultations nationales. Désormais la donne se métamorphosa radicalement. Bien sûr il y eut cette présidentielle passée où Lionel Jospin, alors Premier ministre de cohabitation, promit l’autonomie s’il entrait à l’Élysée. Il fut battu mais certains ont encore en mémoire qu’il termina troisième chez nous derrière Chirac et un certain Jean-Marie Le Pen. Était- ce un signe avant-coureur ? Les prémices que malgré la promesse aux insulaires par celui
qui initia les fameux lundis de Matignon le lepénisme n’était plus un épouvantail. L’eau depuis coula sous les ponts. L’épisode tomba dans les abîmes de l’oubli. Nul ne daigna alors ouvrir le chapitre de l’introspection. Car depuis, au hasard de discussions informelles avec des citoyens qui n’étaient pas militants, perçait progressivement un mécontentement qui s’amplifia à bas bruit au fil du temps. Il
se concrétisa notamment par la fin du vote caché. Presque honteux. Une frange de l’électorat n’hésitant plus à dire ouvertement qu’elle n’avait plus aucune réticence à déposer un bulletin estampillé extrême droite. Après le père, la fille. Nul n’y prit garde mais du Cap à Bonifacio avec des apogées et des replis, ce parti devenait une sorte de marque, un label. Il exerçait un engouement accru, n’ayant que faire de la qualité ou l’efficience de ceux qui le représentaient dans les consultations diverses et variées.
Majorité silencieuse La question qui prévaut au-delà de tout jugement de valeur n’est pas de disséquer
sur l’importance de ce vote de rupture, mais de s’interroger sur les causes. Sauf à dire que l’île se drape d’atours que certains qualifient de fascistes, l’esprit rationnel peut déceler qu’une grande partie de la population adresse des griefs à ceux qui possèdent des responsabilités électives. « On ne s’occupe
pas de nous. » Telle est la formule lapidaire et néanmoins éloquente. La litanie s’articule autour de thématiques qui assaillent ici plus qu’ailleurs la société. Précarité, chômage, vie chère, mal vivre, accès au logement, économie en berne, fracture entre littoral et intérieur. Ruralité moribonde. N’en jetez plus
la cour est pleine. Ces accusations, proches de procès d’intention ne doivent à l’évidence
pas être toutes prises pour argent comptant. Mais transpire nettement le sentiment exacerbé au cœur de la population, que ses difficultés et ses appels ne sont que peu ou prou entendus, et a fortiori écoutés. Message reçu ? Nul n’en disconviendra au hasard des commentaires parfois proches d’un mea
culpa qui ne dit pas son nom. Dans le camp nationaliste, on évoque d’ores et déjà un aggiornamento. Gilles Simeoni dit sans fards, avec lucidité et sincérité que les évolutions majeures du corps électoral imposent une réflexion de l’ensemble des nationalistes,
conjuguées aux forces de progrès. Bref, il en appelait à l’avènement d’une stratégie politique susceptible de permettre la réussite des fondamentaux portés par ces mouvances, sans omettre le message adressé par les électeurs, nourri d’insatisfactions.
Introspection nationaliste Dans le camp de Jean-Christophe Angelini, l’invitation feutrée rencontra un écho favorable, à condition toutefois qu’il ne s’agisse pas, selon ses dires, d’un simple replâtrage. Une sorte d’alliance de circonstance, sans que soit défini un authentique projet de société. Comment ?
« Par une recomposition profonde du champ politique incluant celles et ceux qui sans être
nationalistes ont contribué à nos victoires électorales. » Prendre le pouls de Nazione équivaut à percevoir une sorte de front du refus à s’assoir à la table de plausibles négociations. >>>

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