Un souffle magistral d’un film à hauteur d’hommes
CÙ U SO PRIMU FILMU, JULIEN COLONNA DÀ CORPU À UN’OPERA DI TRINCA SCELTA INDUVE A BELLEZZA LUMINOSA DI A CORSICA CUNTRASTA CÙ A BUGHJURA DI I DESTINI UMANI, D’UNA STRAGE FAMIGLIALE CHÌ PÒ PARLÀ À TUTTI. IN OGNI SCENA, BATTE A SPUTICHEZZA, MAGNIFICATA DINÒ DA L’INGENIU DI CUMEDIENTI AMATORI CHÌ PORTANU PROPIU UN ABBRIVU NOVU À U SINEMÀ CORSU, DA U LUCALE À L’UNIVERSALE.
Par Petru Altiani
Dans Le Royaume, Julien Colonna s’inspire de souvenirs d’enfance. Ce premier long-métrage est autant une histoire de transmission qu’une interrogation sur l’héritage. « Quand j’avais 10 ans, je vivais ce que je croyais être une aventure avec mon père, un moment hors du temps où l’on pêchait et dormait à la belle étoile. J’ai compris bien plus tard que ces instants avaientpour lui un sens tout autre », confie le réalisateur, fils de Jean-Jérôme Colonna, figure du milieu corse décédée en 2006.
Au cœur du récit, Lesia, 15 ans, est arrachée à son quotidien d’adolescente pour rejoindre son père, Pierre-Paul, un chef de clan en cavale. Ce dernier, cible d’une tentative d’assassinat, cherche à protéger sa fille tout en préparant sa riposte.
Le réalisateur refuse toute lecture autobiographique : « Ce film n’est pas mon histoire. C’est une fiction pure, mais qui porte en elle les questions que j’avais besoin d’explorer : que transmet-on à ses enfants quand on n’a pas le temps ou les outils pour tout leur dire ? » Coécrit avec Jeanne Herry (Pupille), le scénario place ces interrogations dans un contexte de tension insulaire : la Corse des années 1990, rongée par des affrontements sanglants entre factions rivales. Julien Colonna préfère pourtant s’éloigner des codes classiques du polar corse. Ce qui aurait pu être une simple chronique criminelle devient, sous sa caméra, une exploration des failles humaines, où la violence reste hors champ, pour mieux révéler ses conséquences, en se focalisant sur une relation filiale entre deux êtres qui, malgré l’urgence et le danger, apprennent à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.
Précision narrative et puissance visuelle
Le titre du film, à lui seul, porte une résonance symbolique puissante. Pierre-Paul est ce roi déchu, cet homme de pouvoir rattrapé par ses erreurs. Son royaume, ce n’est pas une terre conquise ou une dynastie mafieuse, mais une fille qu’il tente –peut-être trop tard – de sauver. Dans cet entre-deux où se mêlent intimité et tragédie, Julien Colonna trouve un équilibre subtil, jamais démonstratif, toujours sincère.
Ce qui frappe immédiatement dans Le Royaume, c’est la capacité du réalisateur à allier précision narrative et puissance visuelle. Il choisit de filmer à hauteur d’enfant, adoptant le regard de Lesia pour explorer ce monde d’adultes qui la dépasse. Ce parti pris, loin d’être anodin, confère au film une force particulière. À travers ses yeux, le spectateur découvre non seulement l’âpreté de la vie des clans, mais aussi la fragilité d’une innocence en train de disparaître. La caméra, parfois tremblante, capte les regards, les silences, les gestes. Elle s’attarde sur les instants volés : un repas partagé, une leçon de pêche, une nuit étoilée, une confession à mi-voix…
Loin de chercher le spectaculaire, Julien Colonna opte pour une tension diffuse. Les moments d’action, rares mais percutants, surgissent comme des éclats dans une histoire marquée par l’attente et le doute. Le péril imminent, palpable dans chaque scène, enveloppe les personnages et le spectateur dans une atmosphère oppressante, sans jamais basculer dans la surenchère.
Le choc d’un casting amateur
Si la mise en scène impressionne, c’est aussi grâce à des performances d’acteurs saisissantes. Julien Colonna a fait le pari audacieux de confier les rôles principaux à des amateurs, tous insulaires, un choix qui donne au film une profondeur émotionnelle rare. « Je voulais des visages inconnus, des regards qui ne trichent pas. La Corse, ce sont aussi ses habitants, et je voulais que le film leur rende hommage », explique-t-il.
Ghjuvanna Benedetti, sapeur-pompier volontaire de 22 ans, illumine, avec une authenticité bouleversante, le film dans le rôle de Lesia. « Je n’avais jamais pensé au cinéma. Quand on m’a proposé de passer le casting, j’ai hésité, mais ma tante m’a convaincue d’essayer », raconte-t-elle. À l’écran, son interprétation est d’une intensité bouleversante. Peu de dialogues, mais une puissance expressive dans les silences, les gestes et surtout les regards. Au début du film, dans une scène-clé – à la dimension rituélique, initiatique –, couteau en main, elle se livre au dépeçage d’un sanglier.
« Ce moment était difficile, mais il symbolise ce que Lesia traverse : elle perd son innocence pour entrer dans le monde de son père », précise Ghjuvanna Benedetti.
Face à elle, Saveriu Santucci, 58 ans, berger et guide de montagne, incarne Pierre-Paul avec un mélange détonant de puissance et de fragilité. Une véritable révélation. « Je ne suis pas acteur, mais Julien m’a demandé d’être sincère, de parler avec mon cœur. C’est ce que j’ai essayé de faire. » Sa performance, à la fois magnétique et vulnérable, capte la dualité d’un homme tiraillé entre son rôle de père et ses responsabilités criminelles. Dans une scène d’une sobriété déchirante, il confie à sa fille : « Ça me fait du mal de te dire non tout le temps ; non pour venir te chercher à la sortie de l’école […] et non pour aller au bout du monde pour faire notre vie. Toi tu n’as rien fait de mal ma fille, tu n’as rien demandé, mais c’est non. J’espère qu’un jour tu me pardonneras. » Des mots, simples mais lourds de sens, résonnant comme un aveu d’échec.
Entre ombre et lumière
Les seconds rôles, eux aussi amateurs, enrichissent le film par un jeu d’une spontanéité inouïe faisant souvent la part belle à la langue corse ; parfaitement maîtrisée. Des visages et des voix qui portent la vérité d’un vécu, ancrant Le Royaume dans une réalité qui dépasse la fiction.
La Corse, loin des clichés de carte postale, y apparaît également un personnage à part entière. Les montagnes escarpées, les plages désertes et les maquis impénétrables forment une toile de fond où se mêlent beauté et tension. « La lumière de la Corse est magnifique, mais elle est toujours traversée par des ombres. C’est cette dualité que je voulais capter. »
Un triomphe critique et public
Présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard, Le Royaume a immédiatement conquis la critique. « Une œuvre magistrale et lumineuse, entre ombre et lumière », salue Télérama. « Une révélation, tant pour son réalisateur que pour ses interprètes », ajoute Le Figaro.
En salles, une semaine seulement après la date de sa sortie nationale, le 13 novembre, le film avait déjà attiré plus de 25 000 spectateurs, un chiffre impressionnant pour un premier long-métrage. Sa présélection pour le Prix Louis-Delluc 2024, considéré comme le « Goncourt du cinéma », est une reconnaissance supplémentaire du talent de Julien Colonna, cadreur de formation, qui a attendu ses 40 ans pour réaliser son premier long-métrage qui marque incontestablement un tournant dans le cinéma corse, et certainement au-delà, tant il s’agit d’une œuvre universelle, où chaque silence, chaque regard saisit l’essence des relations humaines : fragiles, contradictoires, mais toujours lumineuses, même dans l’obscurité… « Ce film n’est pas mon histoire. C’est une fiction pure, mais qui porte en elle les questions que j’avais besoin d’explorer : que transmet-on à ses enfants quand on n’a pas le temps ou les outils pour tout leur dire ? », Julien Colonna apporte avec brio une réponse éloquente et signe un vrai succès qui touche les cœurs et les esprits.
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