Le temps des doutes    

 Edito                 

Par Jean Poletti

La dissolution surprise décrétée par Macron provoqua une instabilité gouvernementale et parlementaire unique dans les annales. La quatrième république, aux soubresauts chroniques, semble faire pâle figure devant cette sorte de retour vers le futur. Le Président se croyait Jupiter, il ne fut que pâle augure à l’échec cuisant. De véto en vaines quêtes d’un Premier ministre, la folle sarabande d’une langue latence fut paraphée par la Constitution d’une équipe à la fragilité du cristal. Elle fut d’emblée placée sous l’épée de Damoclès d’une Marine Le Pen qui boit du petit lait. Il est vrai que ce parcours chaotique trouva en alliés de circonstance des mélenchonistes, écologistes et autres adeptes de la stratégie d’Olivier Faure. Pour des raisons diverses tous se coagulèrent dans un refus à promouvoir un Bernard Cazeneuve. Ils jouèrent selon la formule chère à Lénine les idiots utiles. Le chef des Insoumis n’ayant d’yeux que la prochaine présidentielle. Les autres ne voulant par briser l’union hétéroclite, gage de maintien de leurs mandats de députés en cas de scrutin législatif anticipé. Il faut dire aussi que dans ce théâtre d’ombre élyséen l’omnipotent Alexis Kohler joua un rôle prépondérant. Il jeta notamment en pâture médiatique le nom de Xavier Bertrand, un leurre qui permit dans le secret des salons lambrissés de peaufiner la mise en scène de Michel Barnier. Ces pratiques d’arrière-salle sonnent le glas de la pulvérisation des clivages traditionnels dont rêvait la Macronie. Ils font un retour fracassant. Alliant partis charnière, gauche radicale et droite extrême. Tous veulent leur place sur l’échiquier. À commencer par Gabriel Attal qui affirme sans euphémisme que son groupe de députés ne se ralliera pas pieds et poings liés à son successeur de Matignon. Bref, cela s’apparente à la corde qui soutient le pendu. Dans ce maelström comme aurait dit Prosper Alfonsi, se greffe et se superpose l’abyssal déficit étatique et le colossal endettement. Les caisses sont vides. À la merci des prêteurs étrangers. Redresser la barre ? Le Waterloo de celui qui durant sept ans occupa Bercy ne pourra pas se métamorphoser en Austerlitz par quelques déclarations volontaristes ou coups d’épées dans l’eau. L’avenir est sombre. Des responsabilités sont à sérier. Et surtout les auteurs d’un tel marasme ne doivent pas se défausser comme le fit récemment Bruno Le Maire en martelant que les coupables étaient les collectivités locales. Quelle audace ! S’agissant de notre île, deux exemples sont édifiants. Il n’a pas été capable de réguler le prix des carburants, d’abonder factuellement et a fortiori de pérenniser l’enveloppe de continuité territoriale, occasionnant ainsi des incertitudes dans le service public maritime et aérien. Plus problématique encore, le mur des difficultés qui se dresse face à ceux qui sont en charge de gérer le pays. Il semble peu réaliste dans ce goulet d’étranglement que le dossier Corse soit placé en haut de l’énorme pile des affaires à traiter. En forçant quelque peu le trait osons dire qu’il sera enfoui dans un tiroir voisinant ceux de l’oubli. Quid de l’évolution institutionnelle ? Nous avions écrit en son temps le peu de constance que nous accordions à Gérald Darmanin lorsqu’il était en charge de cette question. Son attitude conforte l’impression. Il jurait sous tous les tons qu’il quitterait avec bonheur Beauvau après les Jeux olympiques. Il balaya d’un revers de manche cette assertion en forme de promesse pour faire une offre de service auprès du nouveau Premier ministre. Il n’est pas seul dans ce cas. Nombre de ministres sortants quémandant, toute honte bue, de rempiler. « Ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent », disait Edgar Faure, que n’avait-il-raison. Une des rares exceptions fut Agnès Pannier-Runacher. Elle déclara : « Nous avons perdu les élections, j’en prends acte et je fais mes cartons. » Ces péripéties propres à la nature humaine ne doivent pas faire oublier l’onde de choc qui atteint nos rivages. Au risque d’insister cette instabilité au sommet, par ailleurs pris dans l’étau financier, ne présage rien de bon ici. Dire que nous risquons d’être logés à même enseigne que le reste des territoires ne console pas. La grave situation économique et sociale pourrait ne pas trouver écho dans les sphères du pouvoir. Le processus d’autonomie devenir l’Arlésienne. Il connut les fluctuations que l’on sait. Et osons rappeler que ce concept fut avancé par le ministre de l’Intérieur au lendemain du guet-apens mortel fomenté contre Yvan Colonna par un codétenu. Cela revient à dire qu’une telle idée n’était nullement dans la doctrine balisant les allées du pouvoir de l’époque. Elle répondait exclusivement et dans la précipitation au souci de calmer la révolte de la jeunesse. L’idée passera-t-elle au bilan de pertes et profits ? Le puissant groupe du Rassemblement national au Palais Bourbon pourrait intimer l’ordre qu’il en soit ainsi. Il serait en l’occurrence conforté dans son refus par le score de ses candidats dans l’île où pour inconnus qu’ils fussent firent trembler les sortants. Deux nationalistes et un libéral ne devant leur salut qu’au fameux Front républicain. Le quatrième élu en partie, et pas seulement, grâce au retrait lepéniste. Voilà la nouvelle donne. Elle allie maintes inconnues planant sur le futur d’un gouvernement installé sur des sables mouvants. Son équilibre précaire et sa droitisation ne sont pas propices à ce qu’il scrute les légitimes attentes insulaires aux accents de spécificité avec l’attention qu’il convient. Et la constance qui s’impose. Comme dit l’adage populaire : « Quand la situation est préoccupante l’affari sò in francese. »

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