EDITO
Par Jean Poletti
Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent ! Cette citation d’Edgar Faure est délectable comme une sangria lorsqu’il s’agit d’hommes politiques. Manuel Valls n’a pas le monopole de ces incessants revirements. Mais ce qui en fait un maître de la muleta et de l’esquive réside dans ses assertions puisées chez Saint-Just, et son comportement. Qu’il délaisse les Ramblas de Barcelone pour les bords de la Seine peut s’apparenter à un retour vers le futur. Député de l’Essonne, il quitte sa circonscription avec armes et bagages pour tenter de forcer le destin en Catalogne. Renvoyé à ses chères études, il reprit le chemin de l’exil volontaire tentant de se refaire une santé et claironnant son « désir d’être utile ». Et d’ajouter au détour d’une phrase qu’il est « majoritairement français ». Le républicain forcené qui fut Place Beauvau l’auteur de formules coupantes comme le diamant a une vision teintée d’opportunisme, tant le divorce entre la phraséologie et le comportement incarne le cocasse.
Et voilà qu’en allers-retours sémantiques et géographiques l’ancien Premier ministre lorgne déjà sur le groupe Territoires et progrès d’Yves Le Drian. Pour tenter d’incarner l’aile gauche du macronisme ?
Valls qui débuta sa carrière sous les auspices de Michel Rocard, embrassa rapidement une dialectique Chevènementiste. Une évolution sinueuse qui lui fit jeter aux orties la vision insulaire de celui qui théorisa la deuxième gauche, au profit d’un propos que n’eut pas dénigré un Michel Poniatowski ânonnant que les Corses avaient un chromosome supplémentaire, celui du crime !
Comme en écho, celui qui occupa Matignon sous l’ère Hollande martela lors d’un déplacement officiel dans l’île que l’omerta était ici l’alpha et l’oméga d’une violence endémique et d’exactions non élucidées. Tous responsables. Voilà qui nous renvoyait à l’antienne d’une communauté « préfeticide » au lendemain de l’assassinat de Claude Érignac.
À chacun son destin, disait avec justesse Sartre, toutefois, asséner de telles inepties lorsqu’on est censé gouverner un pays relève d’une conception singulière qui détonait dans la bouche d’un socialiste. De même était-il fondé à clamer que l’accession aux responsabilités des nationalistes relevait de la ligne rouge ? Voilà précepte qui foule aux pieds le suffrage universel, dont l’auteur en fit d’ailleurs les douloureux frais dans sa campagne barcelonaise. L’épopée espérée se termina en bérézina, avec comme seul lot de consolation un siège de conseiller municipal d’opposition. Cela n’indique-t-il pas mieux que digressions multiples que le vote de l’électorat a en démocratie valeur de verdict sans appel ?
Valls eut beau à l’Assemblée territoriale faire observer une minute de silence en mémoire de Rocard, cela ne leurra personne. Ce n’était qu’artifice pour mieux pourfendre une certaine idée de la Corse de son supposé mentor. D’ailleurs, ce dernier lui adressa une volée de bois vert lorsqu’il émis le souhait de changer le nom du Parti socialiste. « Certains dans nos rangs, et faute d’avoir vu le PS de France porteur de solutions pour la période précédente, veulent déclarer sa désuétude et programmer sa disparition. Ce serait pire qu’une folie, une faute et sans doute un geste suicidaire pour la France. »
Accordons dans un souci d’équité le franc-parler de l’homme d’Évry sur les problématiques complémentaires de l’islamisme et de la laïcité. Dans ces domaines, l’explication a le mérite du parler-clair pour reprendre une expression chère aux rocardiens. Il ne verse pas dans les euphémismes, et n’hésite pas à s’opposer frontalement à ceux qui placent le Coran au-dessus des lois qui régissent notre société.
Mais sans remuer le couteau dans la plaie, osons dire que Valls offre une multitude de facettes. En lieu et place d’une doctrine générale se greffent et se superposent diverses considérations que certains nommeront pragmatisme et d’autres opportunisme.
Mais un pan de mystère qui côtoie la psychologie affleure. Comment un leader nourri au lait décentralisateur de celui qui a voulu dormir à Monticello de son éternel sommeil, a pu tourner le dos à de tels préceptes ? Par quelle alchimie surprenante, il renia les statuts pour la Corse, nés de la volonté de François Mitterrand. Et initiés par Defferre et Joxe ? Et en réminiscence fugace nous revient en mémoire cette édifiante tribune de Rocard intitulée « Corse : jacobins, ne tuez pas la paix ! »
En déclinant à grands traits ces incessants changements de cap, chacun admettra que la sincérité d’une démarche en perpétuel changement butte naturellement sur le mur du scepticisme de l’opinion publique. Car au-delà de sa plausible stratégie nationale, dont il est seul comptable, demeurent comme gravés dans le marbre les propos blessants à l’égard d’une communauté insulaire tout entière, injustement mise au banc des accusés. Complice des maux qu’elle subit. Et en forçant le trait, dans le sillage de Marguerite Duras : « Coupable, forcément coupable ! »
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