À quelques mois des prochaines élections présidentielles, il est de bon ton d’avoir un regard rétrospectif sur le quinquennat qui s’achève. Ce quinquennat s’est ouvert sur une volonté de réformes. Même si dans les faits beaucoup de transformations économiques, sociétales ou autres ont été faites, court une petite musique : les actes n’auraient pas été à la hauteur de la promesse de réforme.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Pourquoi une telle musique, si les changements ont été nombreux et ont généré parfois des colères voire des criailleries ? La réforme des retraites n’a pas abouti du fait des troubles des « gilets jaunes », puis de la crise sanitaire. Or la réforme des retraites a été qualifiée de « mère de toutes les réformes ».
Mais aussi centrale et indispensable que soit la réforme des retraites, est-elle vraiment la mère de toutes les réformes ? Les acquis favorables étant très importants et les pesanteurs sociologiques très lourdes, elle est sous-tendue par un changement de mentalité. Or les mentalités ne changent pas par des discours fussent-ils convaincants ou experts, cela demande du temps et une éducation pour comprendre les choses. En fait « la mère de toutes les réformes » c’est celle de l’Éducation, celle de l’École, d’un retour à l’école républicaine pour les temps contemporains. Comment faire comprendre la défense d’un système par répartition sans éduquer à la citoyenneté c’est-à-dire le passage d’une responsabilité individuelle à une responsabilité solidaire ou plutôt pour être vraiment républicain fraternelle ? Il ne s’agit pas de provisionner pour ses vieux jours, il s’agit de cotiser quand on est actif pour les concitoyens à la retraite. Cette conception fraternelle intergénérationnelle des retraites n’est pas compatible avec un strict individualisme libéral. Or où apprend-on à dépasser l’intérêt individuel si ce n’est à l’École où l’on perçoit que notre intérêt individuel est pour nous-mêmes d’un intérêt moindre que notre intérêt de citoyen.
Pour le progrès de tous
Même si le temps n’est plus à la leçon de morale matinale de l’école publique, celle des « hussards noirs de la République », sa pratique à l’époque était d’éduquer à la citoyenneté et de faire des enfants des élèves. Or nous avons bien oublié aujourd’hui que si les parents font des enfants, ce sont les maîtres qui font les élèves.
Aujourd’hui, on dit bien vite que l’école instruit mais que l’éducation appartient d’abord voire exclusivement aux parents. Non, l’école desserre le milieu familial pour ouvrir à la société et aux autres. En revanche, l’École laïque éduque uniquement par et pour l’instruction, en transmettant le savoir et non en reproduisant une idéologie religieuse, politique ou autre… Seul un état qui aurait comme Vichy pour devise « Travail, Famille, Patrie » peut penser que l’éducation n’est que du fait des parents. Quand on apprend la devise « Liberté, Égalité, Fraternité », on apprend qu’on ne s’instruit pas seulement pour soi mais aussi pour les autres en vue du progrès de tous. Le déclin de l’École républicaine est à l’origine de la montée des individualismes voire de l’extrême droite. Aucune réforme de progrès n’est possible sans la réforme et le progrès de l’École.
Certains pourraient facilement ironiser en avançant que l’École n’est pas « la mère des réformes » mais la réforme permanente. Une politique éducative serait une forme modérée de trotskisme pratiquant non pas la révolution permanente mais la réforme permanente. Mais, si l’École est bien le lieu de la transmission du savoir, elle évolue comme le savoir et sait que le savoir qu’elle transmet n’est pas le savoir qui en train de se créer. La fausse opposition entre école traditionnelle et école moderne, entre académisme et pédagogisme provient d’une confusion des termes voire d’une confusion mentale.
Futur citoyen
Il n’existe pas d’École qui ne soit traditionnelle car le propre de la tradition c’est la transmission ; mais il n’y a pas non plus d’École qui ne soit moderne car elle transmet aux enfants d’aujourd’hui pour en faire des élèves d’aujourd’hui.
Le néologisme, « pédagogisme », pris littéralement dit que le chemin de l’école, autrement dit les méthodes d’apprentissages, est plus important que le contenu du savoir. En grec, le pédagogue à l’origine n’est pas le maître mais l’esclave qui conduit l’élève au maître. Comment restaurer l’autorité du maître si on disqualifie son savoir, encore faut-il que le maître respecte son propre savoir c’est-à-dire le remette en cause pour le faire progresser. Qu’on puisse aujourd’hui mettre au même niveau l’ignorance des militants anti-vaccins et le savoir des médecins est une défaite de la science provenant de la défaite de l’École.
Il faut remettre les choses en place, une des pires erreurs qui ait été commise, c’est d’écrire dans la loi que l’élève est au centre de l’École : le centre de l’École est hors l’École, ce n’est pas le maître, ce n’est pas plus l’élève, mais c’est le futur citoyen, le futur adulte.
De l’élève au maître
Pour que notre République soit une grande démocratie, son école se doit d’être démocratique au sens où elle se doit d’accueillir tous ses enfants, mais son fonctionnement ne l’est pas car l’élève est soumis à l’autorité du savoir du Maître et le Maître n’est digne de son autorité que si lui-même est soumis à l’autorité du savoir et non à celles des opinions. Dans le système français, c’est ce que doit faire pour couronner le secondaire le professeur de philosophie : il n’apprend pas une philosophie à l’élève, encore moins celle qui serait la sienne, mais il apprend à l’élève à penser contre lui-même donc à devenir maître.
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