L’édito de Jean Poletti
Le sang des justes
Le temps polit les évènements. La mémoire devient sélective. L’exaltation, au parfum d’épopée, trie entre ombre et lumière le halo de l’histoire. Les intenses cérémonies de la libération de la Corse n’échappèrent nullement au prisme, nécessairement déformant, qui distinguent le réel et sa perception.
Ainsi, un mois durant, les héros furent célébrés, leur action magnifiée. Sacrifices suprêmes, engagement sans faille. Honneur, liberté. Pourtant, dans ce concert de louanges, fut partiellement occultée l’âme de ces combattants de l’ombre. Dans le feu de l’action, ils voulaient déjà que la fin de l’occupation fut l’avènement d’un socle politique. Bâti d’humanisme et pétri de progrès partagé. L’avenir ?couché noir sur blanc par le Conseil national de la résistance.
Le programme visionnaire prônait l’instauration de la Sécurité sociale, les nationalisations, la liberté de presse, un syndicalisme indépendant, les comités d’entreprises, l’éviction des féodalités économiques et financières. La primauté de l’intérêt général. L’Etat de droit. Une révolution, traçant des sillons d’équité, qui trouva chez nous de fervents partisans.
Dans nos maquis, entre deux opérations, ces êtres vêtus de courageuse dignité œuvraient à d’autres lendemains pour notre île. « Je meurs pour la Corse et mon parti », écrivit un martyr. Voilà soixante dix ans, il était la voix d’un particularisme assumé et d’un engagement altruiste.
L’alliance que scellèrent les courants gaullistes, socialistes et communistes renvoyait au triptyque liberté égalité fraternité qui fonde la société. Davantage qu’un repère ce pacte de solidarité citoyenne prend aujourd’hui chez nous rang de message.
Notre île fracturée, qui ne cesse panser ses blessures, enveloppée de suaire et en proie aux dérives, devrait méditer les préceptes voulus par les hôtes des maquis.
En ces temps de campagne électorale, tels seraient bien inspirés de relire cette doctrine, plutôt que de verser dans les quolibets, jouer les marchands d’illusions. Ou les hommes providentiels.
Ici, plus qu’ailleurs un héritage nous oblige. Face à la déliquescence de notre société, en proie aux individualismes, des voix d’outre- tombent, semblent lui dire qu’elle fait fausse route. Nicoli, Scamaroni, Giusti, Mondoloni, Giovoni, Casanova et tant d’autres délivrent une recommandation posthume. Déposer des gerbes, se souvenir est nécessaire mais nullement suffisant. Il faut aussi et peut-être surtout entendre ce qu’ils accomplirent de noble et de beau au nom des générations futures. Qu’avons-nous fait de ce legs, écrit en lettres du sang des justes ?
La mémoire ne doit nullement être figée. Elle doit irriguer le présent. Notre ile danse une maléfique sarabande, elle s’approche du point de non retour. Le pire n’est pas sûr, il est cependant à craindre. A l’heure où certains leaders nationaux tentent de détricoter le pacte social en créant de fâcheux amalgames, a des fins bassement électoralistes. Tandis, qu’ici et là, on veut assimiler le rose et le brun, écoutons l’illustre résistant Stephan Hessel s’indigner et nous rappeler que créer c’est résister et résister c’est créer.
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