L’ampleur du succès mondial de la série « Game of Thrones » conduit à rechercher la cause de l’effet produit sur les spectateurs dans une correspondance de structure entre l’écriture du sujet humain, notamment par le renoncement à la pensée magique, fonde le rigoureux de cette œuvre télévisuelle majeure.
La formule canonique valable pour tous les mythes telle que Lévi-Strauss l’énonce dans La Structure des mythes («Magie et religion», Anthropologie structurale), s’applique parfaitement à «Game of Thrones» (GOT): dans la situation de départ des 74 épisodes de la série, une fonction magique et religieuse s’applique à un souverain auquel échoit le « trône de fer», symbole du pouvoir, par hérédité dynastique, alors que plusieurs personnages clefs tentent
d’accéder au sacre par assassinat, usurpation et autres manœuvres; la fonction narrative, elle, est assurée par des personnages trickstersou «décepteurs», tels le corbeau ou le vison des contes amérindiens qui orientent la direction du récit tout en étant des médiateurs entre les termes opposés et polaires de la vie et de la mort. Dans la situation d’arrivée, c’est un personnage trickster, un mage infirme dépositaire druidique du savoir oral de la communauté (Bran Stark), qui devient roi en étant élu par ses pairs (d’autres tricksters), tandis que le seul héritier légitime du trône, le héros du récit, dont la naissance avait été protégée par un secret (Jon Snow/Aegon Targaryen), est exclu, banni, et doit se retirer pour vivre dans une lointaine forêt avec une peuplade primitive alors que tous les autres concurrents initiaux dans la lutte pour le trône ont été éliminés. La continuité des deux situations constitue ce qu’en mathématiques on appelle un espace moebien.
Réalité et imaginaire
L’auteur Georges R. R. Martin a très habilement mêlé une transposition de la mythologie celtique avec les techniques du pouvoir de la fin du Moyen Âge et des débuts de la Renaissance (on pense à Louis XI et Machiavel) combinant guerre et diplomatie. Les échos de la mythologie celtique, telle que les moines irlandais l’ont recueillie et transcrite à partir du viiie siècle après J.-C., se retrouvent dans l’affrontement et la succession de peuples sur un même territoire (Westeros, nom imaginaire de l’Irlande): les jeunes dieux de Tuatha dé Danann deviennent les «enfants de la forêt» dans la série, les monstrueux Fomoires correspondent aux «marcheurs blancs», sorte de zombies refoulés dans un premier temps au-delà d’un gigantesque murdeglace,les«Andals»,premiershommesvenusàWesteros,sont les Milésiens d’origine ibérique venus conquérir l’Irlande, les «héros» qui leur succèdent sont les Gaëls etc. La bataille de Winterfell de GOT, opposant les humains aux «marcheurs blancs», évoque la bataille
de Magh Tuireadh, la «sorcière rouge» de la série a les attributs de la déesse guerrière Morrigane… Quant aux dragons colorés, êtres chtoniens volcaniques comme ceux du mythe de Vortingen et dont les couleurs symbolisaient des peuples envahisseurs, ils deviennent dans la série de redoutables moyens de guerre aériens.
La pensée magique
De son côté, le général eunuque Ver Gris n’est pas sans évoquer le personnage historique du général byzantin Narsès. On se surprend donc à adhérer à ces histoires de dragons et d’êtres fantastiques grâce aux autres aspects réalistes et psychologiques de la dramaturgie, la dimension magique étant cependant abolie à la fin du récit. Mais si la pensée magique est si présente dans les mythes c’est peut-être parce qu’elle a survécu également comme trace dans le développement du psychisme humain: un auteur comme Piaget décrit dans les phases de l’acquisition de l’intelligence une pensée magique entre 3 et 6 ans faite d’animisme (tous les corps sont vivants), de causalité morale (le soleil est gentil parce qu’il réchauffe), de finalisme (tout à une fonction : la nuit c’est pour dormir), d’artificialisme (tout a été fabriqué, ce sont des gens qui ont construit des montagnes) et d’indistinction entre soi et l’environnement (adualisme). Dans la théorie de la psychanalyse, les aspects magiques existent dès la préhistoire de la vie affective du sujet: c’est aux premiers temps de la relation entre la mère et l’enfant, à l’occasion de l’allaitement, que débutent les processus d’incorporation (introjection) et de perception de ce qui existe dans la réalité extérieure; l’image de la mère, d’abord partielle (le sein) puis totale, sert de support à la projection d’une activité fantasmatique intense de la part du nourrisson (faite de destruction, dévoration et réparation) et dont Mélanie Klein avait tenté la description intuitive en s’appuyant sur son expérience clinique pour l’avoir retrouvée dans le jeu avec des enfants.
La phase infantile
L’identification à l’image de soi (stade du miroir) correspond à une phase intense de mégalomanie infantile et de toute puissance magique qui sera ultérieurement bornée, lorsque le langage prend l’ascendant sur l’image, par d’autres identifications, cette fois- ci d’opérateurs symboliques permettant la mise en relation de la différence des générations et de la différence des sexes dans la filiation: ainsi se constitue pour le sujet le champ de la réalité, également de structure moebienne. pdc
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