EDITO
Par Jean Poletti
La saison estivale est propice aux incendies. Ensevelies sous les cendres de l’oubli hivernal, les craintes rejaillissent avec les beaux jours. Rien de nouveau sous le soleil. Leitmotiv de calendrier. Végétation s’apparentant au tapis d’amadou. Mais depuis quelque temps l’allumette coupable change de cible et d’orientation. Elle s’attaque aux biens des personnes, unissant dans les flammes destructrices vengeances commerciales, jalousies et représailles contre ceux qui dénoncent les prévarications. « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté. » Ce refrain de Guy Béart renvoie désormais chez nous l’écho d’une brûlante actualité. Des voitures régulièrement carbonisées. Des entreprises transformées en brasiers. Un refuge calciné. La liste prend force et vigueur, attisée par des vents mauvais. Un climat malsain s’instaure alimentant maintes conversations. Avec en filigrane la crainte d’un épilogue dramatique. Bien sûr les condamnations se propagent comme autant de foyers contre l’injustice. Certes les exactions sont flétries. Mais sauf à s’engoncer dans l’optimisme béat, nul ne disconviendra que ces échos révoltés demeureront inaudibles aux oreilles pyromanes. La Corse inexorablement s’engonce dans une nouvelle forme de violence. Pernicieuse, invisible, désastreuse. En occultant l’euphémisme osons dire qu’elle subit une stratégie de la terre brulée. Une communauté semble désormais prise dans la maléfique spirale d’un néfaste fait de société. Elle est soumise à l’épreuve du feu, celle qui annihile la parole. Incite à la prudence du propos. Fait litière du débat. Occulte à maints égards le propos. Favorise insidieusement une chape de silence, terreau et allié des prébendes et de la prévarication. Cette fois, nul ne peut mettre à l’index l’Etat, fréquemment accusé de tous nos maux. Les fleurs du mal poussent et prospèrent chez nous, sans la main de mauvais jardiniers parisiens. On peut à l’envi minimiser ces exactions, se draper dans le costume aisé du fatalisme. Feindre d’ignorer les volutes de fumée qui obscurcissent l’horizon du vivre ensemble. Mais à l’évidence de telles attitudes ne seront que vains palliatifs.
Il faut que se dégage une authentique volonté citoyenne affichant clairement qu’elle n’accepte plus cette pratique de jeux interdits et dangereux. La situation insulaire, déjà tendue à l’extrême, au point qu’elle risque de rompre, n’a pas en corollaire à subir ces agissements qui minent une population. Alimentant la suspicion, nourrissant les rumeurs, attisant la colère et les antagonismes. Et ouvrant, dans une implacable logique, un chemin jalonné d’épilogue irréversible. Le pire n’est jamais sûr. Mais le risque est patent. Faudra-il attendre qu’aux décombres fumants s’ajoutent des suaires de deuil pour que la raison l’emporte ? De manière informelle et sans trop le crier sous les toits, nombreux sont ceux qui affirment que la situation, déjà délétère, peut brutalement s’aggraver. Inutile d’expliciter davantage, tant chacun comprend et admet que le seuil de l’irréparable a la fragilité du cristal. Le temps est compté. Il faut impérativement que soient noyée sous les flots de la raison cette stratégie brûlante, que certains emploient pour museler ou punir. Notre région, qui ploie déjà sous le joug d’un profond malaise sociétal, n’a pas à souffrir aussi d’une nouvelle blessure qui renvoie à des procédés barbares. Une sorte de loi de la jungle s’apparentant à une guerre du feu.
Oui, inutile de se voiler la face. La Corse est happée par un climat anxiogène. De manière diffuse ou explicite d’aucuns martèlent que la conjonction d’une incompréhension nationale et les agissements d’une minorité agissante locale nourrissent un épisode inquiétant.
Il est urgent que dans les sphères gouvernementales la raison l’emporte sur les formules surfaites. Et chez nous que certains cessent d’avoir comme unique doctrine l’intérêt particulier, allant jusqu’à détruire et menacer si leur velléité et ambition ne sont pas satisfaites.
Si une telle dualité complémentaire devait rester lettre morte, l’avenir risque de clouer au pilori de la régression ce destin collectif et harmonieux que nombreux appellent de leurs vœux. Il deviendrait chimère sous les braises du malheur
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.