EDITO
Par Jean Poletti
La pandémie cloue au pilori le monde. Elle dessine en filigrane un nouveau mode de vie alliant craintes et précautions. Dans une spirale maléfique se multiplient foyers infectieux et admissions hospitalières. Et au cœur de cet environnement délétère, les cris d’alarme des praticiens s’apparentent souvent à de vaines clameurs dans le désert. Comme si relativiser ou ignorer le danger équivalait à s’en prévenir. Cette attitude qui prête le flanc à l’analyse psychologique, dont eurent été friands Freud ou Lacan, trouve malheureusement des adeptes patentés. Ici, des militants du complotisme. Là, un pourfendeur des élémentaires règles sanitaires. Cela n’est pas nouveau. De telles attitudes ou dialectiques ressurgirent lors de toute crise ou catastrophe. Nous en eûmes un exemple patent lors de l’attaque islamiste des tours de New York. Mais cette fois des voix s’élèvent aussi pour affirmer que rien ne doit changer dans notre existence. Malgré le virus, aucune restriction individuelle et collective n’a le droit de barrer la route à la normalité. D’aucuns évoquent des mesures liberticides. D’autres plus radicaux encore affirment qu’ils ne se plieront à aucune contrainte. Des personnalités du show biz se distinguent dans cet exercice nauséabond. « Vivre jusqu’à en mourir », clama même celui dont les principaux lauriers sont d’être le fils d’un brillant humoriste décédé. La phrase est digne des héros de l’antique ou contemporains. Mais n’est pas Jean Moulin qui veut ! Comme en écho, un pâle émule de Coluche flétrit avec des mots crus ceux qui initient les mesures barrières. Qu’ils adoptent une attitude empreinte de dangerosité relèverait de leur seule responsabilité si elle ne rejoignait pas la mise en danger d’autrui. Ces personnalités médiatiques qui avancent à visage découvert peuvent être porteurs du virus et ainsi contaminer entourages ou anonymes. Mais en corollaire leurs assertions peuvent, du fait de leur notoriété médiatique, recevoir un écho favorable dans une frange de la population. En toute hypothèse, ce genre de bravade ajoute si besoin au climat ambiant de suspicion qui agite la société. Il est vrai que nos gouvernants péchèrent à maintes reprises et parsemèrent cette gestion de crise de faux-fuyants, clairs-obscurs et atermoiements. Ils érigèrent même la coupable carence de masques en doctrine, multipliant les annonces pour attester qu’ils ne servaient à rien. Ce qui s’apparenta à un mensonge d’État fut asséné inlassablement par le directeur général de la Santé, qui par un curieux effet du hasard a depuis disparu du petit écran. Renvoyé à ses chères études ? Une exfiltration en douceur après lui avoir demandé de faire le sale boulot ? Et que dire de la bouillabaisse marseillaise des restaurants fermés à grands renforts de mouvements de mentons, puis rouverts quelques jours après. Était-ce pour éviter une mesure similaire dans la capitale dont la situation sanitaire s’avérait similaire ? Dans ces périodes douloureuses, la crédibilité et la transparence doivent impérativement être les piliers des gouvernants. Car comme le stipule l’adage « la clarté engendre l’adhésion, la confusion engendre la méfiance ». Nul besoin de forcer le trait pour souligner que ces élémentaires concepts firent défaut dans la bouche de ceux qui avaient pour insigne mission de dire clairement les choses et fixer un cap afin de susciter un élan d’adhésion. Bref, une authentique union nationale pour faire face à l’ennemi invisible. Sans vouloir retourner le couteau dans la plaie, nul ne peut raisonnablement oublier une stratégie gouvernementale dévolue à occulter l’impréparation, l’incurie dans la gestion des stocks de masques, la fumeuse théorie pour conserver ouvertes à tous vents les frontières. Ou encore l’inutilité des tests, pour ensuite permettre qu’ils se multiplient sans l’esquisse de l’ombre d’une méthode. Avec les hiatus que l’on sait. Sans parler de la carence du secteur public hospitalier, sacrifié sur l’autel de la rentabilité.
Désormais, l’épidémie a pris de l’ampleur. Il n’est plus temps de se complaire dans les philippiques ou s’interroger sur l’efficience des modalités du déconfinement. Relâchement trop rapide ? Faute de pédagogie et de mise en garde, impression diffuse dans la société que le pire était passé ? Brutal retour à la réalité en forme de coup de bâton : le couvre-feu.
Quelles que soient les erreurs, pour ne pas dire les fautes commises au sommet du pouvoir, rien ne peut autoriser des personnes nanties d’une certaine aura de plastronner sur les plateaux de télévision et distiller des appels au refus de se plier aux règles de survie collective. Pis encore de publier une tribune, cette indigne exhortation de tout arrêter les masques, la distanciation et autres « vivons à fond embrassons-nous, crevons, ayons de la fièvre, toussons ». À ces formules à l’emporte-pièce préférons, une fois n’est pas coutume, celle d’Olivier Veran « On ne peut pas imposer aux gens de prendre soin d’eux malgré eux, mais on peut imposer aux gens de prendre soin des autres malgré eux. » Élémentaire mon cher Watson.
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