Edito
Par Jean Poletti
Les doctes prédictions d’analystes de salon ne font plus recette. Dans une île écartelée, le temps des illusionnistes s’effiloche tissant les fils d’une cruelle réalité. La Corse à l’encan ? Sans doute. Économie en berne. Social terrassé. Angoisse exacerbée. Voilà la néfaste trilogie qui étreint notre communauté, ourlant l’horizon de lourds nuages noirs. Dans une prodigieuse accélération de l’histoire, le constat strictement politique est devenu sociétal. Avec en toile de fond l’ombre prégnante d’une mafia qui ne dit pas son nom mais prospère sur un terreau mêlant prévarication, pressions et exactions. Cette spirale aux éléments disparates se fonde cependant dans un même creuset. Forgeant inexorablement les armes du malheur. La psychologie collective s’imprègne à l’évidence de ce climat délétère, alimentant le pessimisme et brisant l’espoir du progrès. La survie collective qui devait être l’honneur de la communauté insulaire s’est brisée sur le mur de l’individualisme, du repliement sur soi. Bref du sauve qui peut personnel. Une réaction logique et pour tout dire humaine, même si elle s’apparente à un palliatif par essence et définition peu efficace pour relever le défi commun. L’autonomie, que nombreux appellent de leurs vœux, ne sera pas le remède miracle s’il s’érige sur un socle friable et fissuré qui prévaut actuellement. Certes tourner le dos à une telle réforme serait selon le mot célèbre de Talleyrand davantage qu’une faute, une erreur. Pour autant l’assimiler à l’antidote de tous nos maux équivaudrait à confondre idéal et réel. Sachons scruter la réalité en face, sans crainte d’être éblouis. La Corse subit une double peine. Elle est la région la plus pauvre du pays, et celle où le coût de la vie est le plus élevé. Avec pour tristes compagnons de route précarité, chômage, et parc immobilier trop souvent inaccessible. Tous les ingrédients de la paupérisation s’entremêlent ravalant une communauté au rang de tiers-monde de la France. Sous le soleil, la misère. Voilà la réalité, même si la fierté empêche fréquemment ceux qui en sont victimes de pousser les portes d’organismes caritatifs, qui déjà ne peuvent plus satisfaire les demandes. Désormais ces structures d’entraide se sont enracinées dans notre paysage urbain et rural, au point d’en faire naturellement partie intégrante. Elles s’apparentent malheureusement à une normalité qui n’étonne plus grand monde. Saluer l’action de ces oasis de solidarité n’interdit pas d’imaginer que notre île ne peut se résigner aux Restos du Cœur, Secours populaire ou catholique. Comme en écho revient la maxime de Confucius : « quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner du poisson ». Une logique de développement qui convoque l’impérieuse nécessité de bâtir une Corse nouvelle, avec le ciment de l’essor partagé et de l’authentique dignité. Utopique ? Nullement. Il faut changer de paradigme. Privilégier l’essentiel à l’accessoire. Indiquer de manière claire et limpide l’urgente priorité d’un rebond de l’activité en utilisant les nombreuses possibilités de ce morceau de satin couché sur du velours comme le chantait Brel. Cela stipule d’initier une vraie opération vérité. Car si nous sommes victimes expiatoires de maints hiatus imposés par la politique étatique, d’autres nous sont propres. Avec en filigrane cette manie, pour tout et son contraire, de tendre la sébile, tout en demandant plus de latitude. Ou mettre systématiquement à l’index les gouvernements successifs en occultant nos propres turpitudes. On se souvient à cet égard d’un Edmond Simeoni, visionnaire, prônant en son temps une démarche d’autocritique. Elle n’était pas synonyme d’auto-flagellation, mais aurait eu l’insigne mérite de responsabiliser un peuple. Lui donnant ainsi davantage de force et de vigueur pour partir de l’évidence et jalonner du futur. Sans aller jusqu’à parler de prophétie, qui nierait qu’aujourd’hui ce propos est d’une actualité brûlante ? Oui, la Corse est au milieu du gué. Il lui faut avancer envers et contre tout. Mais collectivement, elle doit une bonne fois pour toutes opérer une scission entre le possible et le souhaitable. Car le climat, qu’il soit perturbé par la brise de mer, a Tramuntana, et autres vents mauvais ne peut perdurer tant il annonce des lendemains encore plus douloureux. Le sursaut. Tel est l’axiome. Il implique une prise de conscience irriguant la société civile. Voilà qui permettrait d’être vraiment audible dans les allées du pouvoir parisien. Et restreindre les atermoiements, teintés d’indifférence de déni ou de jeux interdits, qui depuis trop longtemps tiennent lieu de stratégie politique à l’Élysée, Matignon, Bercy ou Beauvau. Corsica sara du male in peggio, disait-on au lendemain de l’assassinat de Bel Messere. Cette prédiction venue de loin ressurgit au hasard des circonstances. Le temps est venu de la terrasser définitivement. En sculptant au fronton de cette vitale mutation l’incontournable précepte : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. »
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