POLITIQUE
Situation surréaliste chez nous comme dans l’Hexagone. Chemin des urnes désertés, et inconnue sur la date du second tour. Malgré ces zones d’ombre, le scrutin entrebâille la porte à l’analyse. Unanime cri d’alarme des candidats du rural. Dans les principales villes, consensus des vainqueurs et défaites sur une nouvelle organisation sociétale. Dissensions nationalistes. Et en onde de choc, plausible évolution de l’échiquier politique lors de prochaines territoriales.
Par Jean Poletti
Le scrutin municipal fut malgré un arrière-goût d’inachevé un réel révélateur. Programmes et professions de foi cristallisèrent une Corse morcelée, abreuvée aux particularismes locaux. Bien sûr, les candidats évoquaient présent et avenir. Oui, réalisations ou projets jalonnaient le chemin des urnes. Mais en corollaire des propos convenus, il était aisé de relever des préoccupations magistrales, liées aux situations géographiques. Challengers et sortants évoquaient de manière explicite ou diffuse des considérations spécifiques.
Sans ouvrir ici le cahier des doléances, chacun pouvait comprendre que l’île était morcelée en quatre entités distinctes, aux problématiques, parfois antinomiques. Elles furent mises en exergue par l’ensemble des candidats, reflétant la détresse de l’intérieur et au sein des principales agglomérations littorales le délitement de l’harmonie communale, battue en brèche par la sectorisation des quartiers, s’ignorant mutuellement.
Davantage que les précédents, ce scrutin convoqua le malaise chronique des villages d’altitude. Hémorragie démographique, déserts ruraux. Difficultés des maires face à cette débâcle. Tels parlant de solitude, d’autres de sacerdoce. Certains jetant même l’éponge. Ce panel de différences géographiques, démographiques et sociétales, n’est pas des graines nouvelles qui fleurirent sur le chemin des urnes. Mais cette fois, elles furent irriguées et cultivées par la quasi-totalité des jardiniers de la consultation démocratique. Le terreau était propice puisque la moitié de la population insulaire réside déjà dans le giron bastiais et ajaccien. Avec comme conséquence, l’inexorable déclin de nombreuses communes nichées aux pieds des montagnes et tournant ostensiblement le dos à la mer. Oui, mille fois oui, chez l’ensemble des compétiteurs de petites localités, il y avait une forme d’abnégation pour tenter de sauver l’essentiel.
Le champ des possibles
Éviter par l’imagination et le volontarisme la disparition de pans entiers de lieux désertés par la vitalité et le dynamisme. Entreprise utopique ? Peut-être. Mais relever le défi mérite à maints égards lauriers et encouragements qui doivent unir dans d’unanimes louanges vainqueurs et perdants.
Les enjeux, tels qu’ils furent annoncés et définis par les équipes en lice, s’avéraient radicalement différents dans les villes. Une interrogation tissée par la prospective transcendait les programmes. Elle tient en peu de mots et peut se résumer d’une formule : « Quelle cité demain ? » Un choix qui ouvrait certes le champ des possibles, mais aussi et peut-être surtout affichait les différences notables sur les notions d’essor partagé et de vivre ensemble. En filigrane se dessinaient en effet l’expansion comme finalité assumée, ou à contrario le souci de préserver l’âme commune qui soude les habitants. Finalement, si tant est que la synthèse fut possible, il conviendrait qu’au sein des nouveaux conseils municipaux, majorité et opposition se rejoignent afin de conjuguer traditions et modernité. Bref, une expansion qui rejette la fausse parenté des intérêts particuliers avec l’intérêt général. Et ouvre ainsi la voie d’un développement qui terrasse les prémices de ghettoïsation des quartiers. Et sonne le glas des transferts d’activité dans les zones périphériques, laissant le cœur des villes exsangues. Tout cela non plus, est-il besoin de s’y appesantir, ne procède pas de la nouveauté ou des ides de Mars. Tant s’en faut. Mais lors de cette campagne, ces orientations furent sans conteste l’apogée des dialectiques. Et finalement les différences majeures devinrent offres politiques.
Bien sûr, nul n’est dupe ou profane. Entre les propositions et la réalisation il y a souvent bien plus qu’un fossé. Pourtant, si l’on daigne se détacher de l’écume des choses, il sera aisé de percevoir que le discours électoral a radicalement changé. Entre le cri d’alarme des ruraux et les interrogations citadines, est posée l’équation de cette « maison corse », qu’ensemble il convient de bâtir. La multitude des programmes des municipales se fond paradoxalement dans un même creuset. Celui qui suggère finalement qu’une région aux aspects disparates doit repenser son modèle territorial.
Laurent, Ange et les autres
En finir avec les incantations sur le mythe rural, mais initier, si cela est encore possible, de réelles thérapies. Bannir le satisfecit de la croissance aveugle des villes au risque de les dénaturer. Voilà les dualités qui valent enjeu cardinal révélées par l’élection des maires. Avec en toile de fond, l’urgence absolue de privilégier les intercommunalités, éternelles grandes oubliées de cette confrontation. Alors que chacun sait, ou pressent, que les divers morcellements aisément répertoriés ne doivent plus sacrifier sur l’autel d’une Corse, inégalitaire à tous égards, de possibles lendemains. Chassant ainsi et à jamais les noirs nuages du déclin collectif.
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