La nuit bleue clandestine a réveillé une situation qui paraissait à jamais enfouie dans le passé. Elle bat en brèche l’analyse d’une clandestinité orpheline de moyens logistiques et incapable d’actions d’envergure. Au-delà de la condamnation, il convient de s’interroger sur les motivations d’un tel chapelet d’explosions. Pour cela l’exégèse de la situation ambiante ne peut être occultée.
Par Jean Poletti
Le fracas des bombes pénalise-t-il le processus à la fragilité du cristal ? Est-ce une stratégie de rupture aux lisières de la terre brûlée ou un moyen de s’inviter à la table des négociations ? La réponse plausible ne peut s’esquisser sans un retour sur l’offre politique proposée par le président de la République.
« Canada Dry est doré comme l’alcool, son nom sonne comme un nom d’alcool, mais ce n’est pas de l’alcool. » Qui ne se souvient pas de ce slogan publicitaire ? Tout compte fait l’annonce présidentielle concernant la Corse n’est-elle pas du même tonneau. Sans avoir l’outrecuidance de ravaler l’éventuelle réforme à une boisson, l’apparentement d’idées effleure notre esprit. Macron dans sa dialectique usuelle n’eut-il pas l’ambition de marier la carpe et le lapin, d’unir le chaud et le froid. D’allier les antagonismes ? Pour être qualifié de synthèse politique le propos élyséen aurait dû à tout le moins ne pas l’enserrer dans sa propre vision. Tracer d’emblée ce qui pourrait être à ses yeux acceptable et dresser des frontières indépassables rejoint en incidence la volonté de faire triompher le consensus mou. Celui qui d’emblée peut satisfaire globalement pour s’effilocher au fil du temps. Portant en germes le risque de susciter crispations générales. Et mécontentements nourris de volte-face. Saluer une tonalité volontariste du chef de l’État s’avère recevable sinon légitime. Pour autant, certains décelèrent davantage d’habileté que de conviction. Font-ils erreur ? L’avenir le dira. Mais en contrepoint ne peut être mise sous l’éteignoir l’idée que l’allocution présidentielle donnait du grain à moudre à toutes ou presque les composantes de l’Assemblée territoriale. Seules les deux formations indépendantistes eurent véritablement la dent dure. Un coup pour satisfaire les nationalistes, l’autre afin de rassurer les libéraux et autres réfractaires à l’idée de réforme. Un jeu d’équilibriste dans lequel excelle celui qui veut être le maître des horloges. Pas de peuple corse. À ce symbole brisé s’ajoutèrent notamment un veto sur le statut de résident ou la coofficialité linguistique.
En contrepoint, et cela n’est nullement un hasard d’aucuns applaudirent au mot d’« autonomie » en oubliant que lui était accolé le qualificatif « à la Corse ». Ceux qui sont rompus au droit constitutionnel ou en ont quelque réminiscence acquise sur les bancs de l’université auront beau se creuser les méninges pour comprendre le sens de ce néologisme juridique. Les puristes diront qu’une autonomie existe en tant que telle ou pas. D’autres auraient compris qu’elle s’adosse à ce qui se fait dans d’autres îles méditerranéennes sinon en Outre-mer. Mais lui adjoindre une notion de spécificité relève de l’innovation dont les mauvaises langues disent qu’elle ressemble à une recette de cuisine. À moins qu’il ne s’agisse d’un stratagème pour empêcher d’autres régions hexagonales de revendiquer elles aussi leur émancipation. Tout est possible dans le clair-obscur qui enveloppa le message pétri du fameux en même temps. Avec en filigrane une autonomie à tout le moins en liberté surveillée, tant il fut indiqué que les initiatives seront scrutées par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel. Gardons-nous cependant de tout procès d’intention. Même si une longue marche devra être nécessairement accomplie avant d’obtenir une plausible mutation. S’accorder ici sur un texte ne sera qu’une étape initiale et sans doute pas une promenade de santé. Ensuite ceux qui ont à cœur de le porter sur les fonds baptismaux devront prendre leur bâton de pèlerin et ressasser la bonne parole en terre continentale. Mais sauf à être béotiens la réalité impliquera de passer par les fourches caudines des parlementaires et notamment la Majorité de droite du palais du Luxembourg. En clair, accepter certaines de ses exigences étant entendu que l’inamovible président Gérard Larcher est loin de regarder ce dossier avec les yeux de Chimène. Tel est le parcours du combattant. Emmanuel Macron n’a délivré qu’une partie de la feuille de route. En traçant à grands traits principes et limites, il reconnaît en son for intérieur n’avoir pas de véritables atouts dans sa manche. Une carence qui est le reflet de son absence de majorité dans les deux instances délibérantes. Une fragilité patente dont pourrait à bas bruit profiter la haute administration pour jouer les détracteurs d’un projet qui de manière frontale ou induite atténuerait leurs prérogatives. Seuls en effet les naïfs pensent qu’à Bercy ou Beauvau les ministres sont omnipuissants et ne subissent pas les pressions feutrées de proches collaborateurs. Sans parler de la puissance préfectorale qui porte en bandoulière le deuil de Claude Érignac. Éluder ces obstacles de nature et de veine différentes équivaudrait à transformer une éventuelle échéance en illusions perdues. L’heure est au choix de société. Le temps est venu de dire sans ambages et au-delà des postures, quel avenir voulons-nous collectivement pour notre île. Cette postulation, dûment signifiée et formalisée par une consultation locale, échappera alors à la Corse pour être l’apanage des instances nationales. Mais que nul ne se méprenne quel que soit le verdict final rien ne serait pire aux yeux de la population insulaire si ceux qui ont reçu mandat pour la représenter n’étaient pas capables de sceller un accord. Fruit de concessions réciproques. Si tel était le cas sur les bords de la Seine, il serait de bon ton de ressortir l’antienne d’une Corse incapable de savoir ce qu’elle veut. Alors faisons ici notre part de chemin pour éviter, fut-ce en cas d’échec, qu’il ne nous incombe pas.
Toutefois seuls les impavides diront que les cartes ont été fortement rebattues par les attentats. Quel que soit le jugement de valeur, la clandestinité fait irruption sur l’échiquier insulaire. Jugée obsolète et dépourvue de logistique, elle démontre le contraire, ajoutant la surprise à l’ampleur. Avec cette interrogation centrale consistant à déceler une logique tactique ou stratégique derrière les cagoules. Nul doute n’est de mise, elle cible en onde de choc les mouvances nationalistes qui malgré leurs différences acceptent l’ouverture fut-elle ténue du chef de l’État. En corollaire, elle peut cristalliser davantage encore la position des forces libérales les incitant notamment à réclamer des assurances formelles et définitives de ceux avec qui elles tentent de trouver un consensus. Enfin, rien n’indique malgré les déclarations préfectorales que l’Élysée se drape dans un certain repli, conditionnant la poursuite des négociations à la fin de la violence.
Pour l’heure, il ne s’agit que de supputations. Mais sauf à croire qu’il s’agit d’un solennel avertissement des clandestins, factuel et sans lendemain, nul ne peut chasser de son esprit que se sont instaurées les prémices d’un climat de tension, qui risquent de conditionner le proche avenir.
Dans un surprenant retour de l’histoire, voilà qui ramène aux turbulences qui accompagnèrent le statut Joxe. Avec une différence notable cette fois une formation nationaliste est aux responsabilités. Et que la droite se dit prête à faire une part du chemin. À l’époque du statut socialiste le FLNC alors uni proclamait « Il n’y a pas de troisième voie » tandis que maints radicaux de gauche communistes et libéraux dénonçaient le « toboggan contre l’indépendance. » Les lignes ont bougé au sein des formations classiques. Mais une constante demeure irriguant la clandestinité. Quelle que soit la coloration du pouvoir territorial sa doctrine est immuable. Aussi avions-nous en son temps écrit dans ces colonnes que la léthargie de la branche armée ne devait pas être assimilée à l’irréversible sommeil de salon. Ainsi lorsqu’elle annonça sa démilitarisation cela fut considéré comme un non-évènement ici et dans les sphères gouvernementales. Quand par la suite et à plusieurs reprises elle se fit menaçante nombreux les qualifièrent de stériles gesticulations.
Qu’ils jouent les Cassandre ou tentent d’orienter les débats en cours sont des questionnements qui s’imposent à l’évidence. Cela n’équivaut nullement, tant s’en faut, à adhérer aux exactions. Pour autant, faire comme si cela était accessoire et ne revêtait aucune incidence serait comme le disent certains édiles une acceptation tacite ou affirmée de la primauté de minorités agissantes sur la société insulaire.
Récemment à Corte se déroula une rencontre sous l’éloquente appellation de « Refondation patriotique ». Même si toute relation de cause à effet serait infondée, rien n’interdit de penser que des forces se regroupent pour s’opposer à ce qu’elles nomment une tiède décentralisation, auréolée du terme d’autonomie.
En corollaire la revendication frontiste transmise à Corse-Matin ne laisse planer aucun doute « Nous n’avons pas de destin commun avec la France. » La brièveté du texte fut sans doute mûrement réfléchie. Aux yeux des auteurs, digressions et explications eurent atténué la force du message. En bons communicants qu’ils ont appris à être, ils savaient vraisemblablement qu’une simple phrase est parfois plus éloquente tant elle laisse place aux commentaires au sein des commentateurs, élus ou population.
Voilà brossés à grands traits et sans fards des épisodes dont l’enchaînement conduit au sempiternel leitmotiv : Quel futur pour la Corse ?
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