Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a récemment appelé les États à rester « proactifs face aux risques pesant sur la stabilité financière, sur fond de taux d’intérêt élevés en raison de l’inflation ».Elle s’exprimait en tant que présidente du Comité européen du risque systémique (CERS), rattaché à la BCE.
Par Jean-André Miniconi
On se souvient que le CERS avait lancé une alerte sans précédent en septembre 2022 en demandant aux banques de se préparer à un scénario de « risques extrêmes » face à la guerre en Ukraine et à l’augmentation des taux de l’inflation et des taux d’intérêts. Depuis, les secousses du système financier ont surtout eu lieu en dehors de la zone euro, aux États-Unis en particulier avec la faillite des banques régionales ou bien au Royaume-Uni avec la crise des obligations souveraines. Aussi peut-on se demander pourquoi Christine Lagarde ressent le besoin de faire une piqûre de rappel
Tout simplement parce que la politique des taux forts a mis à mal le système économique et que les risques sont de plus en plus forts. Il faut tout d’abord rappeler que la BCE a augmenté ses taux directeurs 10 fois depuis le printemps 2022, pour les maintenir entre 4% et 4,75%, du jamais vu depuis la création de l’euro. Pour les banques, le risque est bien évidement comme pour les entreprises, la hausse du coût de leurs refinancements, mais surtout une baisse très importante du volume des prêts.
Le spectre de l’insolvabilité
Pour les entreprises les risques sont multiples : augmentation du coût du service de la dette qui va rogner les marges, baisse de la demande des ménages entraînant une faible croissance.
Finalement, les sociétés et les ménages les plus fragiles risquent de devenir insolvables.
C’est bien cette solvabilité qui fait peur aux banques et à la présidente de la BCE d’autant plus que la baisse des taux n’est pas programmée dans l’immédiat. Même si l’inflation a reflué ces derniers mois, elle était en moyenne annuelle à fin octobre de 3,6% dans l’Union européenne, loin de l’objectif des 2% que s’est fixée la BCE.
Fort de ce constat, que va-t-il se passer en France en 2024 et 2025 ? Les projections macroéconomiques de la Banque de France nous éclairent sur le sujet :
Perspectives édifiantes
- Tout d’abord l’inflation après avoir connu un pic à plus de 7% en février devrait se stabiliser aux alentours de 4,5% fin décembre 23. La baisse de l’inflation devrait se poursuivre pour les années à venir, avec une inflation de 2,8% en 2024 et 2,1% en 2025 ;
- La croissance prévue en 2023 s’élève à 0,9% essentiellement due à des phénomènes de rattrapage tels que la reprise de l’activité cokéfaction-raffinage et de la production d’électricité, la croissance intérieure ne contribuant qu’à hauteur de 0,4% au PIB. Le PIB resterait stable à 0,9% en 2024 et progresserait à 1,3% en 2025, mais avec cette fois une demande intérieure qui serait le moteur de la croissance ;
- Les salaires sont en progression de plus de 5% en grande partie grâce au versement de la prime de partage de la valeur. Cependant en termes réels, les salaires reculeraient en 2023. Les années suivantes, les salaires réels auraient un taux de croissance positifs, profitant de la baisse de l’inflation ;
- La faible croissance entraînerait un ajustement du taux de chômage à la hausse pour s’établir à 7,5% en 2025, juste en dessous de celui de 2019 ;
- Le pouvoir d’achat par habitant progresserait de à 0,6% en 2023, grâce aux revenus complémentaires, tels que les loyers par exemple (hors salaires) et par la création nette d’emplois (plus de personnes qui travaillent) ce qui viendrait compenser la baisse des salaires réels. Bien sûr nous sommes en macroéconomie et beaucoup de personnes qui souffrent économiquement risquent de ne pas se reconnaître dans l’analyse. Pour les deux années suivantes, le pouvoir d’achat serait plus soutenu par l’augmentation des salaires réels et par les mesures de soutien budgétaires des ménages ;
- Fort de cette augmentation du pouvoir d’achat et du taux d’épargne particulièrement élevé, 18,2% en 2023 contre 15% avant la crise, la consommation des ménages devrait repartir à la hausse avec des taux de croissance de 1,8% en 2024 et de 1,5% en 2025.
Responsabilité politique
Évidemment, toutes ces analyses et prévisions sont faites dans un contexte géopolitique des plus incertains et peuvent être battues en brèche à tout moment. Ce qu’il faut en retenir, c’est que les marges de manœuvres sont minimes avec des taux de croissance espérés faibles ne permettant pas une reprise franche de l’activité. Nous sommes sur le fil du rasoir et la BCE ne pourra pas maintenir encore longtemps ses taux élevés sous peine de provoquer une récession et des faillites en masse. Elle a choisi de lutter de manière classique contre l’inflation en augmentant ses taux pour réduire la demande. Cela n’a pas empêché de grands groupes industriels dans plusieurs secteurs, comme l’énergie, le transport ou l’automobile d’afficher des bénéfices hors normes, avec des augmentations de prix à 2 chiffres et même parfois en se payant le luxe de réduire leur production. Comment est-ce possible ? Aux politiques d’avoir le courage d’enquêter et de légiférer.
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