« Ochju, Malocchio, Mal de Ojo – mauvais œil et autres pratiques magico-religieuses en Méditerranée » (Alain Piazzola, 2023)
Davia Benedetti et Fabien Landron, vous avez dirigé cet ouvrage collectif intitulé « Ochju, Malocchio, Mal de Ojo – mauvais œil et autres pratiques magico-religieuses en Méditerranée », paru tout récemment aux Éditions Alain Piazzola (2023). De quoi ce travail est-il le fruit ?
Fabien Landron : Cet ouvrage, de près de 500 pages, fait suite au colloque international du même nom que nous avions organisé en octobre 2021 à l’Université de Corse, dans le cadre de nos activités scientifiques à l’UMR LISA, et plus particulièrement du projet RIMe qui consiste à observer et analyser les représentations des identités de Méditerranée à travers différents canaux et moyens d’expression. C’est un peu l’esprit qui habite cette publication plurilingue, riche de 24 contributions, et qui mêle différentes approches et interprétations de mythes, croyances et superstitions, dans une perspective méditerranéenne, démontrant ainsi la prégnance de ces thématiques dans un territoire plus large, dans lequel s’inscrit la Corse.
Que nous apprend-il sur les pratiques magico-religieuses en Corse et en Méditerranée ?
Davia Benedetti : Cet ouvrage révèle un vécu communautaire des croyances magico-religieuses propre à la Corse. Les pratiques qui en découlent, comme celle bien connue de l’ochju, fascinent, interpellent et interrogent. Au-delà de la spécificité corse, la croyance dans le « mauvais œil » est aussi vécue comme le marqueur d’un continuum méditerranéen qui lie les peuples entre eux. En effet, en Méditerranée, maintes pratiques magico-religieuses relèvent d’une croyance partagée et culturellement transmise en des entités surnaturelles inhérentes à la nature et à l’existence. Ainsi, à notre époque postmoderne, les « connexions » constatées entre différentes régions méditerranéennes témoignent du rôle social de la spiritualité populaire. La pensée magique populaire interfère dans la pensée rationnelle scientifique pour satisfaire notre insatiable quête de cohérence et de compréhension du monde. Quand, dans le quotidien ou en temps de crise, la pensée rationnelle ne suffit plus pour comprendre une situation, la magie permet de donner du sens à l’inexpliqué et à l’inexplicable. Elle offre une autre perspective signifiante du monde pour apaiser le vécu, admettre le tragique et supporter le malheur. Les mutations économiques, politiques, sanitaires, écologiques, technologiques du monde actuel entraînent des pertes de repères. Ces grands bouleversements génèrent le besoin et le désir de se tourner, malgré le progrès de la science, vers des pratiques surnaturelles pour dépasser l’angoisse de l’existence. À l’ère du digital et de la « société de l’exposition », une recrudescence des rituels magiques permet de dire ce qui est parfois passé sous silence, protégé par le secret, occulté.
Il s’agit, vous l’avez dit, d’un ouvrage collectif : qu’apporte cette approche pluridisciplinaire à la question des pratiques autour du mauvais œil ?
F. L. : Il s’agissait pour nous de convoquer différentes représentations, à travers les siècles et jusqu’à nos jours, du mauvais œil et, plus largement, des croyances liées à cette pratique, en permettant un dialogue entre les textes, les disciplines, les figures, les cultures, les identités, les territoires, dans une démarche de co-construction avec les auteurs des différents textes, qu’ils soient chercheurs, enseignants ou acteurs culturels. Les lecteurs pourront ainsi comprendre comment la question de la magie et de ses rituels traverse l’ensemble de la culture et ses différents domaines, de ceux antiques et classiques aux contemporains (comme en atteste l’ochju coloré de la couverture, signé de l’artiste corse Anto Fils de pop) : la thématique est explorée non seulement à travers l’anthropologie et l’histoire mais aussi la littérature, le cinéma, le théâtre, les séries télévisées, la chanson, la danse, le jeu vidéo, le spectacle vivant et la peinture.
Plus largement, quels sont les prolongements possibles d’un tel travail ?
D. B. : Nous poursuivrons ce travail de recherche au sein de l’UMR LISA à travers l’investigation d’autres phénomènes qui impactent la société corse selon de multiples expressions. L’intérêt est d’adapter la méthodologie, pluri- et trans-disciplinaire, adoptée pour la direction de cet ouvrage, à l’observation de nouveaux phénomènes sociaux en mettant en synergie des chercheurs de différentes disciplines de l’Université de Corse et d’ailleurs, des acteurs sociaux, des artistes pour appréhender des phénomènes dans leur diverses expressions, selon une perspective théorique et pratique, pour en saisir toute la complexité. Dans l’immédiat, nous suivons l’évolution des pratiques magico-religieuses en Corse et Méditerranée. Pour un nouveau travail, les thématiques possibles sont nombreuses et nous travaillons à en choisir une.
Le projet « B3C – Boost Cultural Competence in Corsica » est cofinancé par la Collectivité de Corse
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