En Italie, la victoire des populistes du Mouvement 5 étoiles associés aux nationalistes de la Ligue du Nord pourrait laisser penser que le modèle de la démocratie libérale est bel et bien en danger.
Par Vincent de Bernardi
En effet, cette victoire s’inscrit dans un mouvement observé dans la plupart des démocraties depuis le Brexit, la victoire de Donald Trump outre-Atlantique, la progression des extrêmes en Autriche, en Allemagne comme en France lors des derniers scrutins.
Certains vont même jusqu’à parler d’un complot contre la démocratie. C’est le cas de Laurent Cohen Tanugi, qui, dans son dernier ouvrage intitulé « Résistances, la démocratie internationale » s’interroge sur ces phénomènes, sur leur concomitance, dans des pays qui sont à l’origine de l’idée moderne de la démocratie. « Le populisme est une idéologie antidémocratique » écrit-il, précisément parce qu’elle s’appuie sur la crédulité de ses cibles. Les partisans de la sortie de l’Union européenne en Grande-Bretagne ont mené une campagne mensongère, Donald Trump aux États-Unis a joué l’outrance et la provocation, souligne l’auteur avant d’expliquer qu’il s’agit d’une attaque en règle contre la démocratie par ses adversaires de l’intérieur mais aussi par ceux de l’extérieur, citant la Chine et la Russie, deux pays cherchant à imposer un autre modèle de gouvernance.
C’est ce que Nicolas Baverez appelle la « démocrature », mélange de populisme, de nationalisme et de fanatisme. Il l’envisage comme un « spectre qui hante le monde » se posant comme une alternative à la démocratie libérale incapable de répondre aux difficultés quotidiennes des citoyens, minée par les dérives du capitalisme et la contestation du multilatéralisme. Pour Nicolas Baverez c’est le socle même des démocraties qui vacille : Ces classes moyennes déstabilisées par la mondialisation, la révolution numérique, les vagues migratoires, l’insécurité croissante sont attirées par un nouveau leadership, incarné par un homme ou une femme fort(e), une économie contrôlée par des « oligarques », une propagande de masse. Ces mêmes classes moyennes se disent prêtent à renoncer à certaines libertés individuelles en contrepartie d’une protection accrue. C’est bien le modèle de la démocratie « illébérale » qui s’installe.
Nouvelle ligne de fracture
En s’attachant à l’analyse de la montée des populismes en Europe depuis 2015, il apparaît assez clairement que la question migratoire a été un des principaux ressorts de leur essor ! Elle renvoie à des enjeux identitaires très présents chez bon nombre de peuples européens, corrélés à une peur de l’islam mais aussi à l’impuissance de l’Union européenne qui n’a pas su mettre en œuvre la politique de quotas préconisée par la Commission. Pour Zaki Laïdi, chercheur au Cevipof, la conjonction des difficultés économiques et la crainte migratoire a créé une nouvelle ligne de fracture en Europe. « On voit qu’à la fracture Nord-Sud qui existe en Europe entre les pays du Nord et les pays du Sud sur l’économie, est venue se rajouter depuis 2015 une ligne de fracture Est-Ouest sur les questions migratoires. Avec des Etats qui se trouvent à la jonction de ces deux crises, comme l’Italie. Ce n’est donc pas un hasard si ce pays est devenu celui où l’euroscepticisme est le plus fort. » Les ingrédients d’une victoire des populistes étaient bien là. La Ligue du Nord comme le Mouvement 5 étoiles ont capitalisé sur leur volonté de résister à Bruxelles. S’ils partagent l’idée que l’Europe est un frein aux véritables choix politiques à l’intérieur même des États-nations, ils ont de profondes divergences sur la politique sociale ou migratoire. Ce qui fait dire à Federico Tarragoni, chercheur en sociologie à l’Université Paris Diderot que leur alliance se fonde sur de nombreux malentendus. C’est selon lui une spécificité italienne car « depuis 1945, ces alliances ont toujours été fondées sur des malentendus idéologiques. Quand ils éclatent, elles se défont ». Et de prédire un avenir relativement bref à cette coalition « hétéroclite ». Pour autant, il voit dans cette Italie du printemps 2018 un « laboratoire politique » illustrant les défauts de nos démocraties représentatives et néolibérales.
Alternatives démocratiques
En devenant de plus en plus excluantes, précarisant les classes moyennes, elles offrent de moins en moins d’espaces de participation en dehors des périodes électorales. « Le problème, c’est que cette idée d’une démocratie imparfaite, qui doit être améliorée et rendue plus inclusive socialement, voyage aujourd’hui entre l’extrême gauche et l’extrême droite » estime Federico Tarragoni. Pour lui, le grand danger de demain, c’est qu’elle valide des alliances contre-nature, comme ce qui se produit aujourd’hui en Italie. « Le côté positif du laboratoire italien est, en revanche, de rappeler que des alternatives démocratiques existent » conclue-t-il.
Les prochaines élections européennes ne pourront se résumer à une simple expérience. Car c’est bien l’avenir de l’Union qui vraisemblablement se jouera dans un an.
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